«L'ère du secret bancaire est révolue», proclame fièrement le communiqué officiel publié à l'issue du sommet du G20.

Les dirigeants politiques réunis à Londres se sont effectivement intéressés au problème des paradis fiscaux. On peut les comprendre: les paradis fiscaux sont de véritables cancers qui rongent l'économie mondiale. Ils privent les gouvernements de revenus fiscaux considérables, et sont en bonne partie responsables de la crise financière.

Plus inquiétant encore: le mal se développe à une vitesse foudroyante.

Les premiers paradis fiscaux ont été créés entre les deux guerres mondiales. Jusqu'au début des années 80, peu de gouvernements s'en soucient. Prendre des sanctions contre un paradis fiscal, c'est intervenir dans les affaires d'un pays souverain, avec tout ce que cela peut supposer de complications. De plus, le phénomène demeure longtemps marginal.

 

Il est impossible de chiffrer l'ampleur des fonds placés dans les paradis fiscaux.

Il y a 30 ans, selon des évaluations de l'époque, cela tournait aux alentours de 200 milliards US, environ 1% du produit intérieur brut mondial.

Dans les années 80, les conseillers financiers, partout dans le monde, découvrent les avantages du secret bancaire et des paradis fiscaux. Ceux-ci se multiplient. Aujourd'hui, selon les calculs de l'organisme Transparency International, pas moins de 10 000 milliards reposent dans les paradis fiscaux, qui sont devenus par la force des choses «un rouage essentiel de l'économie», pour citer l'économiste français Édouard Chambost.

Cette somme colossale, c'est pratiquement 12% de l'économie mondiale.

À ce rythme, il serait plus exact de parler de bactérie mangeuse de chair plutôt que de cancer.

Et qu'a fait le G20 à Londres?

Peu et beaucoup.

Au premier coup d'oeil, on peut penser que le sommet n'a produit qu'un pétard mouillé. On s'est borné à dresser une liste noire de quatre pays (Malaisie, Costa Rica, Uruguay et Philippines) parce que ces pays refusent de conclure des ententes bilatérales avec d'autres pays sur le partage d'informations bancaires et financières. Ce sont loin d'être les pires élèves de la classe.

On a aussi dressé une «liste grise» comprenant 38 paradis fiscaux qui promettent de prendre de bonnes résolutions en s'engageant à donner des signes de bonne volonté. C'est bien vague. Cette liste permet à certains des paradis fiscaux les plus coupables, de Nauru aux Bahamas, de Monaco au Liechtenstein, du Vanuatu au Liberia, de continuer à opérer pourvu qu'ils se disent prêts à s'engager à signer des ententes d'échanges d'informations.

Ce n'est pas tout. La «liste grise» du G20 est pleine de trous. Pour faire plaisir à la Chine, Macao et Hong-Kong n'y figurent pas. Pour faire plaisir au Royaume-Uni, Jersey n'y figure pas. La Barbade non plus!

Et parlant du Royaune-Uni, il serait pertinent de rappeler qu'on peut identifier au moins neuf territoires dépendant de la Couronne britannique comme paradis fiscaux: Anguilla, Bermudes, îles Vierges, Caïman, Gibraltar, Jersey, Guernesey, Montserrat et îles Turquoises.

De tout ce que j'ai pu lire ou entendre ces derniers jours sur le sujet, je retiens cette phrase du journal Le Monde, assez représentative du sentiment général de perplexité: «Un paradis fiscal a ceci de commun avec ceux du jeu, ou de la prostitution, que l'on se plaît à les condamner autant que l'on est heureux d'en profiter.»

Le fait est que les listes, noires ou grises, existent déjà depuis un bon bout de temps, et qu'elle n'ont jamais empêché les paradis fiscaux de vaquer tranquillement à leurs petites affaires.

Dans ces conditions, on peut effectivement penser que le G20 a accouché d'une souris.

C'est aller un peu vite en affaires.

En fait, les participants au sommet n'entendent pas en rester là. D'ici septembre, un suivi sera fait, et les pays de la «liste grise» toujours récalcitrants pourraient, pour la première fois, devoir faire face à d'authentiques sanctions. Ce ne sont pas les possibilités qui manquent. Certains pourraient être privés d'aide internationale. On peut aussi frapper les délinquants en s'attaquant à leurs déposants (en leur imposant, par exemple, des vérifications et contrôles à répétition). On peut aussi réglementer les entrées et les sorties de capitaux vers ou en provenance d'un pays en particulier. On peut même aller jusqu'à interdire toute relation financière avec un pays délinquant; cela veut dire, par exemple, qu'une banque canadienne qui a une filiale aux Caïmans n'aurait plus le droit de rapatrier le moindre dollar de ce paradis fiscal..

Cela fait au moins 20 ans que l'on parle, à l'OCDE, au FMI, au G7 et dans d'autres instances, de lutter contre le virus des paradis fiscaux. Le sommet de Londres est loin de satisfaire toutes les attentes, mais jamais la communauté internationale n'est-elle allée aussi loin dans cette direction. C'était le premier pas qu'il fallait enfin se décider à franchir. En ce sens, on peut certainement parler de déblocage. La suite en septembre.