Fondée à Québec en 1859, la Banque Nationale célèbre ses 150 ans cette année. Celle que l'on surnomme la banque des PME compte en profiter pour mettre en relief, dans une nouvelle campagne de promotion, l'importance de la Nationale au Québec. Mais si la banque espère rebâtir les ponts avec le Québec inc. et redorer son image ternie par ses investissements malheureux dans du papier commercial, elle vient de rater une belle occasion.

C'est la saison des circulaires de procuration. Ces documents qui invitent les actionnaires à venir assister aux assemblées annuelles sont truffés d'informations pertinentes, comme la rémunération totale (salaire, primes, régime de retraite et tutti quanti) consentie aux plus hauts dirigeants.

 

Normalement, on assiste à une spirale inflationniste des plus étourdissantes. Mais on a droit cette année à une surenchère des plus inhabituelles. Ce n'est plus à qui empoche la rémunération la plus plantureuse, mais à qui fera le plus grand acte de contrition. Cachez cette prime que je ne saurais voir, je ne veux point de ces millions.

Coup sur coup, lundi, la Banque Royale et la Banque CIBC ont annoncé que leurs grands patrons se serraient la ceinture d'un cran. Gordon Nixon a renoncé à près de 5 millions de dollars. Gerry McCaughey, qui avait droit à près de 13 millions de dollars en 2008 sur la base des bons résultats de la CIBC en 2007, se contentera de 5,3 millions.

Le grand patron de la Banque de Montréal, qui ne voulait pas être en reste, a eu une révélation tard lundi et a repoussé sa rémunération incitative à moyen et à long terme pour 2008. Celle-ci s'élevait à 4,1 millions de dollars. Parions que le grand patron de la Banque Toronto-Dominion, Ed Clark, fera de même lorsque son tour viendra.

«C'est le résultat de ma réflexion sur l'environnement économique», a expliqué Bill Downe, président et chef de la direction de la Banque de Montréal.

Traduction: alors que les gouvernements occidentaux tirent les banques d'embarras à coups de centaines de milliards de dollars et que les entreprises licencient à qui mieux mieux, la rémunération incitative des banquiers est aussi socialement inacceptable que la cigarette. C'est le symbole du cancer qui ronge le système financier.

Et cela, même si les banques canadiennes sont rentables et mieux capitalisées que leurs consoeurs américaines, dont les pratiques commerciales et d'investissement ont été nettement plus hasardeuses.

À contre-courant de ce mouvement, la Nationale ne peut que mal paraître. De 2007 à 2008, son président et chef de la direction, Louis Vachon, a vu sa rémunération progresser de 3,8 millions à 5,3 millions de dollars. Cette différence s'explique essentiellement par la prime que le comité de rémunération du conseil vient de lui verser pour 2008.

En 2007, Louis Vachon avait été privé de sa prime en raison des investissements de 2,1 milliards de la Nationale dans des papiers commerciaux vendus par des boutiques indépendantes dont les arrières n'étaient pas assurés. Mais bon, la Nationale était la seule des grandes banques canadiennes à avoir misé autant d'argent sur ce type de placement à court terme. Ceci explique cela.

Ce qui est le plus troublant, c'est que Louis Vachon n'a pas atteint trois des quatre cibles que le conseil d'administration lui avait fixées. Le rendement des capitaux propres, la croissance du bénéfice par action et la hausse de la satisfaction de la clientèle ont tous été inférieurs aux attentes. Il n'y a que le ratio de capital de base qui dépasse le seuil minimal fixé.

Par exemple, le bénéfice par action de la Nationale a reculé de 17,4% en 2008, alors que la banque espérait qu'il progresse de 5%. Et cela, c'est avant les éléments particuliers, comme les nouvelles radiations en relation avec le papier commercial. Pourquoi ces éléments sont-ils exclus de l'évaluation de la prime? Poser la question, c'est y répondre.

Pour justifier sa décision d'accorder une prime de 744 000$ malgré des profits inférieurs aux attentes, le comité de rémunération compare les résultats de la Nationale à ceux des autres banques puis console Louis Vachon. Toutefois, il ne trouve aucune excuse a posteriori pour justifier la hausse trop timide de la satisfaction de la clientèle. Bref, il se montre très compréhensif.

Qu'on se comprenne bien, Louis Vachon n'est pas John Thain, l'ancien grand patron de Merrill Lynch qui passera à la postérité pour avoir claqué, en pleine crise financière, 1,2 million de dollars sur la décoration de son bureau. John Thain a devancé le paiement de 4 milliards US en primes à la «performance» aux cadres de la firme avant que les investisseurs n'apprennent que Merrill a perdu 15,4 milliards US au quatrième trimestre.

Qui plus est, les primes au Canada sont à des années-lumière des gratifications de 18,4 milliards de dollars versés sur Wall Street en 2008, primes que le président américain, Barack Obama, a qualifiées de «honteuses».

Mais cet ascenseur qui monte toujours plus vite qu'il ne redescend n'en finit pas d'alimenter le cynisme des investisseurs, qui doivent se contenter des miettes ou des pertes. Et après cela, les financiers vont jusqu'à déplorer la crise de confiance qui plombe les indices boursiers, non mais!

L'échelle de rémunération dans le secteur financier n'a plus aucun rapport avec la valeur du travail ou les compétences. Même s'il est difficile de descendre de la stratosphère, les financiers devront apprendre à vivre avec moins. Et surtout, à se récompenser de façon différente.

Les conseils d'administration ne peuvent plus être indulgents envers les PDG qui n'atteignent pas leurs objectifs. Les primes dans toute la hiérarchie doivent être fonction de la croissance des profits. Et puis, les conseils doivent attendre une ou même plusieurs années avant de verser ces primes, afin d'éviter les mauvaises surprises. Certaines institutions comme la CIBC, Credit Suisse et UBS l'ont déjà fait, mais pas toutes.

Pour que les banquiers deviennent fréquentables, c'est toute la culture de l'industrie qui doit changer.