Les téléconférences organisées par les entreprises à l'occasion de la sortie de leurs résultats financiers donnent toujours lieu à des échanges désincarnés.

Les téléconférences organisées par les entreprises à l'occasion de la sortie de leurs résultats financiers donnent toujours lieu à des échanges désincarnés.

Le chef de la direction financière, invisible, débite d'un ton monocorde les résultats. Puis, les analystes posent des questions en anglais dans leur jargon truffé d'acronymes.

Si les journalistes n'ont pas le droit de participer, ce qui arrive encore trop souvent, on ne sort jamais des considérations techniques qui servent à affiner les prévisions de cours cible des actions. En simple, c'est d'un ennui consommé.

Malgré tout, les dirigeants se plaisent habituellement à afficher une grande détermination, même lorsque leurs résultats sont mauvais. Pas hier. La lassitude était palpable dans la voix de François Jean Coutu, président et chef de la direction du Groupe Jean Coutu. Ce dirigeant d'ordinaire si jovial avait du mal à cacher son dépit devant la dernière bordée de mauvaises nouvelles.

Le détaillant canadien ne peut plus jouer à l'autruche. Il doit effacer une partie de la valeur encore artificiellement attribuée à son investissement de 30% dans la chaîne de pharmacies américaine Rite Aid. Et encore, cette spectaculaire radiation «préliminaire» de 358 millions de dollars est-elle fort timide. À ce sujet, lire l'article de mon collègue Maxime Bergeron.

Et puis il y a cet investissement malheureux dans du papier commercial qui a tant fait jaser depuis un an. Le détaillant fait une croix sur un autre 3,6 millions de dollars, ce qui porte à 10,7 millions la radiation sur son investissement initial de près de 36 millions.

Pendant ce temps, l'étoile des pharmacies canadiennes pâlit. Les ventes de magasins comparables (la mesure de référence dans le commerce de détail) ont progressé moitié moins vite que l'an dernier, soit de 3,2% contre 6,1% à la même période il y a un an. «Je déteste d'avoir à dire cela, mais la météo ne nous a pas aidés», a noté François Jean Coutu.

Pas besoin d'en rajouter, la cour est pleine.

Le Groupe Jean Coutu ne sortira pas de son marasme tant qu'il n'aura pas résolu son problème avec Rite Aid, d'une façon ou d'une autre.

En octobre dernier, François Jean Coutu s'était impatienté avec la troisième chaîne de pharmacies aux États-Unis, qui prévoit maintenant perdre entre 593 millions et 773 millions US lors de son année financière 2009. «S'il n'y a pas de redressement rapide, il va falloir revoir la décision au complet et prendre nos décisions de gestionnaire.»

En décembre, toutefois, le chef de la direction financière du Groupe Jean Coutu, André Belzile, avait tempéré ces propos. «Il est trop tôt pour porter un jugement sur l'avenir de la société», avait-il dit.

En fait, comme les marchés boursiers n'attribuent plus de valeur à la participation dans Rite Aid, le détaillant québécois n'a plus rien à perdre. Il est assez révélateur, d'ailleurs, que les dirigeants n'aient même pas abordé le sujet hier.

La triste réalité est que le Groupe Jean Coutu est complètement impuissant. Même si Jean Coutu essaie d'user de son influence pour infléchir la direction ou changer des dirigeants clefs de Rite Aid - et il y a déjà eu un ménage à la haute direction en septembre - l'entreprise canadienne ne peut rien contre la conjoncture.

Après avoir connu le pire Noël en 40 ans (lire le texte de mon collègue Laurier Cloutier), les commerçants américains prennent des mesures désespérées pour attirer des clients. C'est ainsi qu'on assiste aux premières loges à la spirale déflationniste.

Certains détaillants ont décidé de solder leur marchandise printanière au moment même où celle-ci arrive en magasin, rapportait hier le Wall Street Journal.

Par exemple, la chaîne Bebe compte offrir plus de promotions «deux pour un» ce printemps et a décidé d'abaisser les prix de certains vêtements et bijoux. Ces nouveaux prix seront annoncés dans une campagne intitulée «The New Deal». Le producteur de jean couture Rock & Republic lance de son côté sa «Recession Collection», avec des pantalons vendus à partir de 130$, soit 50$ de moins que les jeans de ses autres collections.

Longtemps, le secteur de la pharmacie a été considéré comme étant relativement immunisé contre la récession. Mais même le leader Walgreen, ancienne darling de la Bourse, a essuyé de nombreux revers au cours de la dernière année. Alors que les profits de ce géant de la pharmacie déçoivent, Walgreen repousse à plus tard son programme d'expansion. L'entreprise a d'ailleurs annoncé hier le licenciement de 1000 cadres, soit 9% de son effectif.

Devant des consommateurs beaucoup plus sensibles aux prix, les pharmacies ne peuvent plus pratiquer des profits élevés sur la marchandise générale. Ils doivent aussi recentrer leur offre sur des articles essentiels.

Les marges de profit fondent aussi du côté des médicaments génériques, où les chaînes américaines se livrent actuellement à une guerre de prix. Or, l'impact de cette rivalité se fait encore plus sentir dans la mesure où les ventes de médicaments génériques augmentent au détriment des ventes de médicaments d'origine.

Depuis que Wal-Mart a lancé un programme d'achat à rabais de certains médicaments génériques, en 2006, les grandes chaînes ont dû lui emboîter le pas. En septembre, Rite Aid a lancé son programme d'économies. Pour aussi peu que 8,99$, les clients peuvent obtenir pour un mois de médicaments génériques.

C'est excellent pour les patients. Mais c'est pas mal moins bon pour la rentabilité de l'entreprise. Voilà pourquoi le mal de tête du Groupe Jean Coutu n'est pas prêt de se dissiper.