Monique Leroux n'avait même pas commencé sa grande tournée des médias que, déjà, il ne lui restait plus qu'un filet de voix.

Monique Leroux n'avait même pas commencé sa grande tournée des médias que, déjà, il ne lui restait plus qu'un filet de voix.

Les accolades et poignées de main lors du grand powwow du Mouvement Desjardins, le week-end dernier à Québec, lui ont laissé un beau rhume en souvenir.

Mais il n'y a pas que les assemblées générales du mouvement coopératif qui ont usé ses cordes vocales.

Ces derniers mois, elle a assidûment courtisé chacun des 256 membres du collège électoral qui représentent des caisses de tous les coins du Québec et de l'Ontario.

Un à un, elle leur a parlé au téléphone.

Quinze petites minutes, une grosse heure.

Et quand un téléphone ne suffisait pas, elle a rappelé une deuxième et même une troisième fois.

On comprend mieux pourquoi, quand on lui demande si elle était surprise d'emporter la présidence du Mouvement Desjardins à l'arraché, au sixième tour de scrutin, elle répond «oui et non».

Dans cette course qualifiée d'imprévisible, Monique Leroux n'a rien laissé au hasard.

Cela n'étonnera guère les gens qui connaissent Monique Leroux.

Ils la décrivent invariablement comme une travailleuse infatigable qui mène ses journées au pas de charge sans se laisser distraire par des frivolités.

Il est d'ailleurs frappant de voir à quel point toutes ses photos se ressemblent depuis une dizaine d'années.

Cette femme de 53 ans porte la même coupe au carré, le même maquillage et affectionne des tailleurs classiques indémodables -vert forêt avec des boutons dorés, le jour de notre rencontre.

Des caprices de la mode, elle ne semble point se soucier.

Monique Leroux aura besoin de toute son énergie et sa discipline pour attaquer son mandat de quatre ans.

Car si la situation de Desjardins semble confortable de prime abord, avec des excédents après impôt de plus de 1,1 milliard de dollars, pour reprendre l'expression pudique des coopérateurs, la croissance du Mouvement est loin d'être assurée.

Deux gros défis attendent son équipe.

Le premier: sortir Desjardins du Québec.

Malgré ses acquisitions en Ontario, Desjardins tire encore l'essentiel de ses revenus de la Belle Province -78% de son chiffre d'affaires.

Ainsi, Desjardins se trouve vulnérable tandis que le Québec accuse les contrecoups du ralentissement aux États-Unis et de la crise du secteur manufacturier.

La fermeture de l'imprimerie Quebecor World de Magog n'en est que la dernière manifestation.

Monique Leroux le sait.

Elle compte consolider en premier lieu la position de Desjardins sur le marché ontarien, où se trouvent 2600 de ses 40 300 employés.

Desjardins y compte une petite collection de caisses, de centres financiers aux entreprises et de compagnies d'assurances, mais tout le monde ne rame pas dans la même direction.

Monique Leroux n'aime pas cette image.

Mais la dirigeante reconnaît que Desjardins devra développer des «stratégies de développement communes» et des «plans intégrés».

Puis, le Mouvement devra rehausser sa visibilité avec de campagnes de notoriété.

Si la volonté est là, la partie n'est pas jouée.

Dominée par les grandes banques, l'industrie des services financiers de l'Ontario est archiconcurrentielle.

Dans le contexte, Desjardins ne pourra pas transposer tout simplement sa formule dont le succès tient à sa longue histoire et son enracinement dans les communautés québécoises.

Il faudra repenser le concept et trouver une façon de se distinguer.

Le second défi: ressusciter Valeurs mobilières Desjardins, VMD pour les intimes.

Les firmes de courtage et les banques d'affaires sont des vaches à lait des groupes financiers normalement constitués.

Or, VMD a réussi l'exploit de perdre de l'argent alors que les fusions battaient leur plein et que les indices boursiers voguaient de record en record.

Perte nette de 11 millions en 2005, de 6,1 millions en 2006, suivie par un petit profit de 600 000$ en 2007.

Ainsi, Desjardins se sort la tête de l'eau au moment où les marchés tournent au vinaigre!

À Toronto, certains chroniqueurs spéculent déjà sur le repli prochain de Desjardins à la suite du départ récent d'analystes, mécontents de leurs primes au rendement maigrichonnes.

Mais il serait anormal qu'un groupe financier de la taille de Desjardins n'ait pas une filiale de courtage digne de ce nom.

L'erreur de Desjardins a été de vouloir se battre sur le terrain des grandes banques.

Il a voulu offrir toute la gamme des services.

Et il a recruté au prix fort des mercenaires de la finance qui n'adhéraient pas à la philosophie du mouvement coopératif et qui n'avaient, par conséquent, aucune allégeance envers Desjardins.

«Ils ont gaspillé leurs ressources sans s'acheter de la crédibilité», résume un financier estimé qui voit d'un bon oeil l'arrivée de Monique Leroux.

Monique Leroux doit tout revoir de zéro et cibler un créneau.

Desjardins doit-il abandonner le financement d'entreprise?

Ou doit-il au contraire accompagner ses entreprises clientes dans leur expansion, en profitant de façon opportune de l'insatisfaction exprimée par certains clients de la Banque Nationale au sujet du papier commercial?

Doit-il abandonner le courtage institutionnel et se concentrer sur les particuliers?

Desjardins devra se fixer rapidement, même si la vitesse n'est pas sa marque de commerce.

Ce choix fait, Monique Leroux devra trouver l'expertise et asseoir la crédibilité de VMD.

À ce stade-ci, une acquisition est peut-être le meilleur moyen d'y parvenir.

Le temps y est certainement propice, dans la mesure où l'incertitude pèse lourdement sur l'industrie et provoque une nouvelle ronde de consolidation.

«On va regarder (les occasions d'acquisitions) et on ne fermera pas la porte à de telles opportunités», dit prudemment la nouvelle présidente.

C'est le moment de reprendre le téléphone, d'autant plus qu'à l'évidence, Monique Leroux sait se montrer très persuasive.