La crise qui secoue les États-Unis est une crise financière, pas économique.

La crise qui secoue les États-Unis est une crise financière, pas économique.

Même si elles s'influencent mutuellement, la finance et l'économie sont deux choses différentes.

C'est un peu comme l'histoire et la géographie. Il s'agit clairement de deux disciplines distinctes. Pourtant, un bon historien doit forcément posséder de solides notions de géographie, et vice-versa. Le peuplement de la vallée du Saint-Laurent, la déportation des Acadiens, l'Acte de Québec, la migration des loyalistes américains, la rébellion de Louis Riel, la construction de chemin de fer transcontinental et l'exploration du Grand Nord sont des faits marquants de l'histoire du Canada. Pourtant, il est impossible de donner un sens à ces événements historiques sans tenir compte de leur contexte géographique.

Je serai toujours sidéré de voir à quel point, particulièrement dans les médias électroniques, des gens instruits, animateurs, commentateurs, collègues journalistes, porte-parole d'organismes divers, et même professeurs, sont incapables de faire la distinction entre finance et économie. C'est probablement une des erreurs les plus fréquemment commises en ondes.

Quand on vous annonce que la Bourse plante, par exemple, ce n'est pas une mauvaise nouvelle économique, c'est une mauvaise nouvelle financière.

La crise américaine fournit une belle occasion de rappeler quelle est la différence entre les deux.

La science économique consiste essentiellement à étudier la production, le commerce et la consommation de biens et services. L'économiste s'intéresse, entre autres, à la productivité et aux immobilisations, au marché du travail (création d'emplois, taux de chômage, rémunération, heures de travail), aux prix (indice des prix à la consommation, prix industriels, coûts unitaires de main-d'oeuvre), au commerce de gros et de détail, aux échanges commerciaux (exportations, importations), à la démographie, aux mises en chantier, aux faillites, aux livraisons, commandes et stocks manufacturiers, aux taux d'utilisation des capacités, au transport, aux indicateurs du tourisme. Il mesure la taille de l'économie, c'est-à-dire le Produit intérieur brut (PIB) et suit son évolution (croissance, ralentissement, récession). Tout cela, c'est de l'économie, pas de la finance.

La finance, c'est le moyen que les consommateurs et les entreprises utilisent pour acheter et vendre des biens et services, c'est-à-dire l'argent. Les banques et les autres institutions financières, les actions, les obligations, les autres titres de créance incluant les hypothèques, les taux de change, les taux d'intérêt, les profits des entreprises, tout cela, c'est de la finance, pas de l'économie.

On a déjà vu, et cela s'est produit assez souvent, l'emploi reculer (mauvaise nouvelle économique) en même temps que la Bourse augmentait (bonne nouvelle financière).

Mais à long terme, l'économie et la finance finissent par s'influencer mutuellement.

Tout comme l'historien se doit de posséder de bonnes notions de géographie, l'économiste doit posséder une solide connaissance des mécanismes et des instruments financiers.

Toute comparaison est forcément boiteuse, mais on peut raisonnablement décrire la finance comme le lubrifiant de l'économie. Autrement dit, l'économie, c'est le moteur; la finance, c'est l'huile.

Si vous utilisez une huile de bonne qualité, et en quantité suffisante, votre moteur tournera rondement. Un système financier en bonne santé favorise une bonne croissance économique.

Si vous oubliez de changer l'huile, ou s'il y a des fuites, vous endommagerez votre moteur. Un système financier boiteux freine les immobilisations, enraie la création d'emplois, compromet la croissance économique et finit par entraîner un appauvrissement général.

Ainsi la crise financière américaine, si elle n'est pas réglée, débouchera certainement sur une crise économique. La rareté du crédit (un problème financier) forcera les entreprises à ralentir leurs immobilisations, ce qui fera augmenter le chômage (un problème économique).

Comme la crise actuelle est d'une brutalité sans précédent, elle risque d'entraîner un traumatisme économique majeur. Le plan de sauvetage du président Bush vise précisément à régler le problème financier avant qu'il n'entraîne une catastrophe économique. Mais les dégâts sont tellement avancés qu'il faut allonger une énorme facture de 700 milliards. Il est en tout cas une mesure avec laquelle il est impossible d'être en désaccord: le plafonnement des salaires des financiers et autres responsables de ce beau gâchis. C'est bien le moins.

Enfin, pour terminer la comparaison, il va de soi que si vous n'avez pas d'huile du tout, vous n'irez nulle part. C'est pourquoi la finance joue en rôle essentiel.

Et certains petits comiques ajoutent que ceux qui jouent trop dans l'huile finissent par se salir les mains...