Il est assez facile, par les temps qui courent, de blâmer la force du dollar canadien pour tous les maux dont souffre l'économie canadienne.

Il est assez facile, par les temps qui courent, de blâmer la force du dollar canadien pour tous les maux dont souffre l'économie canadienne.

Le fait est que le dollar canadien connaît une ascension prodigieuse depuis quelques années. À son plus bas, il y a tout juste quatre ans, le huard valait à peine 63 cents américains; je me souviens d'ailleurs de la fort juste description de mon ex-collègue Miville Tremblay, qui, à l'époque, parlait du " pauvre petit palmipède ensanglanté ".

En cet automne 2006, le dollar canadien chatouille crânement la barre des 90 cents, une appréciation qui frise les 50 %.

Cela ne fait pas l'affaire de tout le monde. Les exportateurs se plaignent de l'érosion de leurs ventes au sud de la frontière. Ils n'ont pas tort: pour le client américain qui paie en dollars américains, le prix des marchandises importées du Canada a grimpé de près de 50 %. Les exportateurs qui n'ont pas su compenser cette hausse par des gains de productivité sont effectivement en difficulté. C'est ce qui explique en partie la situation dramatique où se retrouvent les scieries québécoises.

Une monnaie anémique peut être commode pendant quelque temps: cette faiblesse stimule les exportations. Mais à plus long terme, on ne peut pas bâtir une économie solide sur une monnaie fragile. Pire: plus une monnaie est faible, plus cela freine les immobilisations et les gains de productivité.

Par ricochet, un huard impuissant contribue à ralentir la création de richesse.

En bout de piste, les inconvénients d'un dollar faible l'emportent largement sur les avantages.

C'est ce que rappelle avec beaucoup de pertinence un document publié cette semaine par le Conference Board du Canada et le Conseil de recherche en sciences humaines, un organisme fédéral qui finance la recherche universitaire avancée.

Les auteurs rappellent à quel point, dans le dossier stratégique de la productivité, le Canada s'est laissé distancer par son principal concurrent, les États-Unis. La mesure le plus souvent utilisée pour mesurer la productivité consiste à diviser la valeur de la production par le nombre d'heures travaillées. Il existe évidemment un lien étroit entre la productivité d'une société et l'importance de ses immobilisations en machinerie et équipement.

En 1985, le taux de productivité de l'économie canadienne atteignait 91 % du taux américain. Aujourd'hui, la productivité du Canada n'atteint plus que 83 % du taux américain. Autrement dit, le Canada réalise des gains réels de productivité, mais ces gains sont moins rapides que chez son voisin.

En perdant du terrain sur le front de la productivité, les Canadiens voient aussi leur train de vie augmenter moins rapidement. Actuellement, l'écart du revenu moyen par habitant entre les États-Unis et le Canada est de 8000 $, en faveur des Américains évidemment. La majeure partie de cet écart est attribuable au retard de productivité du Canada.

Si le fossé se creuse entre les deux pays, c'est en grande partie parce qu'un dollar faible empêche les entrepreneurs canadiens de se moderniser aussi rapidement que leurs concurrents américains. Par rapport aux États-Unis, à l'Europe ou au Japon, le Canada produit assez peu d'équipement et de machinerie. Pour être à la fine pointe de la technologie, il doit donc importer, principalement des États-Unis.

Or, plus le dollar est faible, plus les importations coûtent cher, plus il est difficile pour les entreprises de se procurer des équipements de pointe et d'augmenter leur productivité.

Certes, le raisonnement n'est pas nouveau. De nombreux chercheurs ont démontré, depuis quelques années, à quel point la faiblesse du dollar a miné les perspectives d'immobilisations au Canada. L'étude du Conference Board apporte cependant plusieurs éléments hautement intéressants.

Ainsi, les auteurs calculent qu'en moyenne dans les pays de l'OCDE, chaque recul de 10 % de la valeur d'une monnaie entraîne, dans l'année qui suit, une contraction de 2,9 % des immobilisations. À plus long terme, c'est-à-dire sur un horizon variant de deux à 10 ans selon les secteurs, la contraction pourrait atteindre 4,9 %, une véritable catastrophe. Un des mérites de l'étude est de chiffrer l'impact par secteur économique; ainsi, en cas de forte dévaluation, c'est le secteur de la construction qui sera le plus touché dans l'année suivante (diminution des investissements de 7,5 %), tandis que le secteur des services personnels, avec un recul de 1 %, serait relativement épargné.

Ces chiffres sont des moyennes. On note d'importantes variations selon les pays. De façon générale, plus un pays est dépendant de ses exportations, plus le choc est violent. Les États-Unis, par exemple, n'exportent que 7 % de leur production.

Si leur dollar perd 10 % de sa valeur, la contraction des immobilisations sera négligeable: à peine 0,7 % la première année, et 1,1 % à long terme. Au Canada, par contre, la contraction sera de 2,5 % la première année, et de 4,1 % à long terme.