Ils ont prié devant une station-service au Texas, et le prix de l'essence a diminué de trois cents le gallon.

Ils ont prié devant une station-service au Texas, et le prix de l'essence a diminué de trois cents le gallon.

Ils ont encore prié devant les pompes en Alabama, au Missouri et même à Washington D.C., s'agenouillant au passage devant l'ambassade de l'Arabie Saoudite au début de l'été. Depuis, le prix moyen de l'essence aux États-Unis est passé sous la barre des 4,00$US le gallon à environ 3,80$US.

Un miracle?

Rocky Twyman, 59 ans, en est convaincu. Cet évangéliste adventiste a fondé un mouvement religieux, au nom divinement inspiré de «Pray at the pump» («Priez à la pompe»). Son groupe, qui compte une centaine de fidèles, a entrepris un pèlerinage pour abaisser les prix de l'essence. Leur credo: si l'État ne peut arrêter cette spirale, alors le Bon Dieu va s'en occuper...

Jusqu'ici, ces prières semblent avoir été entendues. Le prix du brut a piqué du nez et Rocky Twyman se fait des amis au pays des gros VUS. Même les médias européens suivent d'un oeil amusé cette croisade «bizarre» (Le Figaro 31 mai).

Prières à la pompe, vols, attaques armées contre les proprios de stations-service... tout y passe. Des économistes vous diront que ces réactions ont une même cause: l'inflation – qui est alimentée surtout par la flambée des cours du brut – appauvrit la classe moyenne dont les salaires sont à la traîne. Le choc pétrolier a donc été violent pour beaucoup d'Américains.

Moins riches

Dans le pays le plus riche du monde, le dernier bilan financier des ménages est en effet troublant.

Alors que l'économie américaine a crû de 18% depuis l'an 2000, les revenus «réels» des familles (après avoir soustrait l'inflation) ont diminué de 1,1% de 2000 à 2006, estime l'Economic Policy Institute. (EPI), un think tank libéral établi à Washington.

Le gouvernement américain, par l'entremise du US Census Bureau, brosse un portrait similaire. Dans une étude parue mardi dernier, on affirme que le revenu médian (le point qui sépare un groupe en deux parties égales) d'une famille moyenne a diminué de 2000$US entre 2000 et 2007, passant de 58 500 à 56 500$US en termes réels.

Bref, le pouvoir d'achat du travailleur moyen s'effrite malgré une économie en croissance.

Pourtant la productivité américaine (obtenue en divisant la valeur de la production par les heures travaillées) croît en moyenne de 2,5% par année. Au total, un gain impressionnant de 18% depuis sept ans, qui traduit notamment les efforts et l'efficacité accrus des travailleurs. «Les Américains ne sont pas récompensés pour leur productivité», affirme un économiste à l'EPI, Jared Bernstein.

La tendance a même été complètement inversée. De 1981 à 2000, le revenu médian réel aux États-Unis avait bele et bien grimpé de 10%, selon l'EPI.

Ce lobby, sensible aux politiques des démocrates de Barack Obama, se fait d'ailleurs un devoir de souligner que la classe aisée, elle, ne souffre pas trop de l'inflation.

Pas moins de 90% des hausses salariales consenties, de 1989 à 2007, ont bénéficié aux nantis (10% de la population). Quant aux riches Américains (1% de la population), leurs revenus après impôt ont bondi de 204% depuis 1989.

La reprise menacée

Mais ce dernier bilan du fossé entre riches et pauvres ne vise pas qu'à raviver le débat sur les inégalités sociales aux États-Unis. Il porte aussi un message: l'appauvrissement de la classe moyenne est une menace très sérieuse.

Les consommateurs américains sont à bout de souffle. Ils ont en grande partie dépensé les généreux chèques (jusqu'à 1800$US par famille) que Washington leur a expédiés au printemps pour relancer l'économie. D'ailleurs, vendredi, on a appris que la consommation a augmenté de seulement 0,2% en juillet, contre une hausse de 0,6% le mois précédent.

«C'est très décevant, a commenté Art Hogan, analyste de la firme Jefferies. En gros, les gens n'ont plus assez d'argent, alors qu'on a besoin de les voir dépenser pour relancer l'économie.»

Sans oublier que la débandade immobilière a causé de gros dommages: en un an, le patrimoine immobilier des Américains a chuté de 15%.

Criblé de dettes, accablé par le crédit plus rare et paralysé par des salaires stagnants, l'Américain moyen est étranglé par la hausse des prix de l'énergie et des aliments. L'économie va écoper. À moins, évidemment, d'une intervention divine.