Mercredi, 15 novembre. Les marchés boursiers viennent de fermer, la journée tire à sa fin. Tout à coup, sans crier gare, la nouvelle tombe: La Senza (T.LSZ), important détaillant de lingerie fine de Dorval, vient de conclure un accord de vente avec le géant américain Limited Brands, connu mondialement pour sa marque Victoria's Secret. Prix négocié: 710 M$ au comptant, ce qui représente une jolie prime de 47,5% sur le prix de clôture des actions quelques minutes plus tôt. Personne n'avait vu venir cette annonce.

Mercredi, 15 novembre. Les marchés boursiers viennent de fermer, la journée tire à sa fin. Tout à coup, sans crier gare, la nouvelle tombe: La Senza [[|ticker sym='T.LSZ'|]], important détaillant de lingerie fine de Dorval, vient de conclure un accord de vente avec le géant américain Limited Brands, connu mondialement pour sa marque Victoria's Secret. Prix négocié: 710 M$ au comptant, ce qui représente une jolie prime de 47,5% sur le prix de clôture des actions quelques minutes plus tôt. Personne n'avait vu venir cette annonce.

"Toute cette histoire nous a aussi pris par surprise, souligne Irv Teitelbaum, président du conseil et chef de la direction de La Senza. Nous n'avions pas mis notre entreprise en vente, ça ne faisait pas partie de nos plans quand Limited Brands nous a approchés en mai dernier."

Assis dans un des bureaux logés au-dessus de son magasin phare, situé au coin des rues Sainte-Catherine et Stanley, le grand patron de La Senza explique, qu'après mûre réflexion, il en était arrivé à la conclusion que le temps de passer à une autre étape était sans doute venu. Le livre de Thomas Friedman intitulé The World is Flat, ouvrage qui traite de la mondialisation, a pesé dans la balance.

"La globalisation est un fait. Dans le monde entier aujourd'hui, on voit des détaillants comme Zara, Mango, H&M, Gap, Wal-Mart, des grandes sociétés qui prennent de l'expansion dans plusieurs pays. On ne peut pas lutter contre une tendance aussi forte que la globalisation. Dans un tel contexte, j'ai compris qu'il valait mieux pour La Senza de lier son destin à un groupe qui avait les reins solides."

Et Limited Brands a les reins solides. L'entreprise compte 3534 magasins qui génèrent des revenus de 9,7 milliards US. En comparaison, le chiffre d'affaires de La Senza s'élève à 410 millions. L'entreprise a un réseau de 318 magasins au Canada et de 327 magasins dans 34 pays.

Irv Teitelbaum admet avoir eu quelques pincements au cur au cours de l'été. Difficile de voir partir ce qu'il considère comme son bébé. "C'est toujours émouvant. C'est comme un enfant, il faut le laisser partir quand c'est le temps."

L'enfant quitte peut-être le giron familial, mais les parents vont continuer à veiller au grain. Irv Teitelbaum reste en poste, ainsi que toute l'équipe de direction de La Senza qui comprend sa fille, qui dirige La Senza Girl, et son fils, responsable de l'international et des ventes par Internet.

"C'était une des conditions d'achat. Limited a exigé que nous restions à la barre. Ils ne connaissent pas le Québec, ni le reste du Canada. Ils ont besoin de notre expertise ici et à l'international. Je me suis engagé pour plusieurs années encore avec La Senza."

Il aurait été de toute façon impensable pour cet homme de 67 ans d'abandonner le commerce de détail. Le détail, c'est toute sa vie, au sens propre comme au figuré.

Irv Teitelbaum était encore très jeune lorsqu'il a épousé Maidy Shier. Son beau-père exploitait alors le magasin Shier ltée, à Lac-Mégantic, dans les Cantons-de-l'Est. Après des études en commerce à Concordia, il entre chez Shier ltée en 1960, il a alors 21 ans. En 1966, il s'associe à son beau-frère, Stephen Gross, qui a épousé une autre des filles Shier. Ils lancent leur premier magasin "Suzy Shier" à Sherbrooke. C'est le début d'une association qui se poursuit encore aujourd'hui.

En juillet 2003, Suzy Shier est vendue. Elle comptait 178 boutiques de vêtements pour femmes. Cette transaction s'inscrivait dans une stratégie bien établie par Irv Teitelbaum et ses associés. L'objectif du groupe: se concentrer sur la lingerie et les boutiques La Senza, lancées en 1990.

"C'était comme un artichaut. Il fallait défaire les feuilles pour trouver le cur. Un cur toujours très rentable, très efficace, bref une grande marque. Parce qu'il y a une grande différence entre une marque et une chaîne de boutiques. La Senza, c'est une marque. On ne peut pas acheter les produits La Senza ailleurs que dans nos boutiques. C'est comme ça qu'on peut créer une vraie marque."

Le nom La Senza lui a été suggéré par sa femme. En italien, Senza veut dire sans. "La Senza, c'est donc la femme sans vêtement." C'est autour de ce nom que s'est bâti le concept d'une boutique de lingerie qui a connu un franc succès.

L'homme d'affaires ne craint pas que ce concept disparaisse pour se fondre dans celui de Victoria's Secret. Si les deux bannières se ressemblent, Irv Teitelbaum insiste pour dire qu'elles sont différentes. "Nous ne vendons pas de la soie, du satin, des trucs sensuels et sexy. Il y en a dans nos boutiques actuellement, c'est vrai, mais c'est le temps des Fêtes. Chez Victoria's Secret, c'est les Fêtes 12 mois par année. Il y a plus de parures, d'artifices. C'est un peu comme la différence entre un film américain et un film français."

Cette référence au cinéma n'est pas anodine. Irv Teitelbaum a un faible pour le septième art. Il va à Cannes tous les ans, depuis maintenant 12 ans. Ça se comprend. C'est sa femme, Maidy, qui a lancé le Festival de film français Cinémania, un événement culturel important de Montréal. "Je suis aide de camp pendant le Festival de Cannes. À nous deux, ma femme et moi, nous pouvons visionner une cinquantaine de films. J'en prends 25, elle fait de même. On se rencontre à l'heure du lunch pour discuter de nos trouvailles. J'adore ça."

Où Irv Teitelbaum prend-il le temps pour faire tout ce qu'il fait? "Je ne joue pas au golf", répond-il en éclatant de rire.