On ne compte plus les savantes études voulant que la révolution technologique entraîne des transformations majeures de l'économie.

On ne compte plus les savantes études voulant que la révolution technologique entraîne des transformations majeures de l'économie.

L'ampleur des bouleversements serait telle qu'il faut parler d'une " nouvelle économie ", basée sur la technologie, par opposition à la " vieille économie " fondée sur des secteurs plus traditionnels comme les ressources naturelles ou le transport.

Dans l'esprit de certains futurologues, il ne fait aucun doute que la nouvelle économie finira par dominer la vieille économie. Pour un pays comme le Canada, où le secteur des ressources occupe une place fondamentale, le virage techno risquerait donc, selon ce raisonnement, de tourner au cauchemar.

Eh bien, non. Les choses ne se passent pas comme cela.

C'est ce que démontre l'économiste Philip Cross, dans une brillante étude que vient de publier L'Observateur économique canadien, une revue spécialisée de Statistique Canada. M. Cross est attaché au Groupe d'analyse de conjoncture de l'agence fédérale de statistique (1).

Depuis trois ans, le Canada profite largement de la hausse des prix des ressources, en particulier dans le secteur de l'énergie.

Cette hausse a fortement contribué à gonfler le dollar canadien à un rythme accéléré. Au début de 2003, le huard s'échangeait à 65 cents américains. À la fin de 2005, il valait 86 cents, un bond de 32 % en moins de trois ans. Une variation d'une telle ampleur, en une aussi courte période, est sans précédent.

On aurait pu craindre que la soudaineté de cette hausse entraîne un effondrement des exportations, mais cela n'a pas été le cas, parce que le Canada a été largement favorisé par les termes de l'échange. Cela veut dire que les prix des exportations canadiennes montent plus vite que les prix des importations.

Par exemple, supposons que vous exportez du pétrole et que votre monnaie s'apprécie de 10 % pendant une période donnée. Or, si le prix du pétrole augmente de 20 % pendant la même période, vous continuez d'en exporter à des conditions avantageuses.

L'étude note aussi que la vigueur des prix des ressources a également contribué à stimuler les marchés boursiers. À la fin de 2005, le niveau du marché atteignait le double de celui de 2003, après l'éclatement de la bulle techno. Autres bonnes nouvelles: les investissements sont à la hausse, le chômage est à son plus bas niveau en 30 ans, le pouvoir d'achat des Canadiens augmente. Dans tous les cas, c'est le secteur des ressources qui sert de locomotive.

Certes, tout cela est bien beau, mais qu'arrivera-t-il si les prix du pétrole et des produits miniers se mettent à chuter, comme cela est toujours possible?

Possible oui, mais non probable, répond M. Cross.

L'explosion des prix de l'énergie provient en forte partie de la demande croissante des pays asiatiques. Il s'agit de satisfaire les besoins de milliards de nouveaux consommateurs, notamment en Chine et en Inde, qui abritent à elles seules 40 % de la population mondiale. Or, la demande de ce côté est en pleine ascension et n'est pas près de ralentir.

Ce n'est pas tout. Un coup d'oeil sur les cycles d'expansion-récession par industrie montre que le secteur pétrolier, contrairement à une opinion assez largement répandue, est loin d'être le plus instable.

À ce sujet, l'auteur rappelle le cycle absolument démentiel qui a touché le secteur des hautes technologies au début des années 2000. Après une ascension prodigieuse, les titres technos se sont effondrés en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Jamais les prix pétroliers n'ont atteint une telle volatilité. Certes, l'éclatement de la bulle techno est un phénomène unique, mais on peut aussi rappeler que deux secteurs hautement stratégiques, l'automobile et la construction, ont connu des oscillations cycliques beaucoup plus graves que celles du pétrole et du gaz.

" La macroéconomie a survécu à tous ces cycles, mais a aussi gagné en stabililté ", écrit M. Cross. " Somme toute, il n'y a guère lieu de penser que la croissance sera trop déstabilisée par la dépendance actuelle à l'égard des ressources. "

L'étude note par ailleurs que les consommateurs canadiens ont étonnamment été peu touchés par les hausses de coûts du pétrole, du gaz et de l'électricité. En 2005, les coûts énergétiques représentaient 6,7 % de l'ensemble des dépenses des ménages, contre 6,2 % un an plus tôt. Or, pendant la même période, le revenu disponible des ménages a augmenté de 4 %, de quoi absorber amplement la hausse de la facture énergétique. Contrairement aux Américains, les Canadiens n'ont aucunement réduit leurs achats de véhicules énergivores comme les camionnettes et les VUS: 48,2 % des ventes l'an dernier, contre 47,9 % en 2004. Ces chiffres ne tiennent cependant pas compte de la nouvelle flambée des prix pétroliers, au début de 2006, ainsi que des hausses de tarifs d'électricité annoncées dans plusieurs provinces récemment.

Enfin, l'auteur note aussi une amélioration dans plusieurs autres secteurs traditionnels, comme les mines et le transport.

Il observe, non sans mordant, que les " prophéties " annonçant une nouvelle économie dominée par la technologie " ne se sont pas réalisées ".

Prudent, il conclut cependant que " tout peut arriver, comme les changements actuels que connaît l'économie étaient inimaginables il y a de cela quelques années, quand les ressources étaient à leur plus bas et que la technologie de pointe atteignait des sommets ".

Après 45 ans sur le marché du travail, je me paie pour la première fois le luxe de vacances prolongées. On se retrouve donc, chers lecteurs, au début d'août. J'en profite pour vous remercier pour vos nombreuses lettres d'encouragement. Bon été à tous.