Avec la consolidation des Bourses un peu partout sur la planète, avec les nombreuses tentatives de rapprochement avec la Bourse de Toronto, personne n'a été renversé d'apprendre que la vénérable Bourse de Montréal capitulait.

Avec la consolidation des Bourses un peu partout sur la planète, avec les nombreuses tentatives de rapprochement avec la Bourse de Toronto, personne n'a été renversé d'apprendre que la vénérable Bourse de Montréal capitulait.

La question est de savoir si cette transaction d'environ 1,3 milliard de dollars est bonne. Pour le Québec. Et pour les actionnaires de la Bourse de Montréal.

La Caisse de dépôt et placement du Québec a illustré à merveille lundi que les intérêts de l'un et de l'autre ne se concilient pas toujours.

La Caisse, qui détient 8% du capital de la Bourse de Montréal, s'interroge sur le bien-fondé d'un mariage avec une Bourse traditionnelle menacée par l'arrivée de nouveaux concurrents et la baisse de son volume de transactions sur les titres canadiens qui se négocient aussi sur les marchés américains.

Elle a raison de soulever la question, même si cela contrarie les nationalistes canadiens et leur scénario de rêve.

En effet, la Bourse de Toronto rivalise maintenant avec Instinet et le système de négociation Alpha, propriété de banques canadiennes. N'aurait-il pas été préférable de s'allier à un autre spécialiste de ces produits dérivés qui sont promis à un meilleur avenir, comme le New York Mercantile Exchange (NYMEX) ou l'Intercontinental Exchange (ICE)?

«En tant qu'actionnaire, nous voulons savoir si la fusion proposée est viable à terme», a déclaré le président de la Caisse, Henri-Paul Rousseau, par communiqué. Toutefois, Montréal risquerait plus d'emplois spécialisés en fusionnant avec un autre expert des dérivés.

La Caisse s'inquiète en deuxième lieu d'un éventuel éloignement du centre de décisions à Toronto, une preuve de plus s'il en fallait que le rendement passe avant le développement du Québec!

Cette inquiétude a été alimentée par les discours discordants entendus hier. D'un côté, la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, semblait appuyer du bout des lèvres cette fusion.

«Je regarde cela d'un bon oeil, même si je ne peux pas dire que je suis ravie», a-t-elle dit en anglais.

Montréal garde l'exclusivité sur la négociation des produits dérivés. Elle dirigera le développement des technologies de l'information des Bourses canadiennes, le nerf de la guerre dans la négociation des valeurs mobilières.

Montréal obtient aussi l'assurance que sa nouvelle Bourse du carbone n'aura pas de rivale, s'est réjouie la ministre.

C'est l'Autorité des marchés financiers (AMF) qui réglementera seule les produits dérivés -ce qui contrecarre drôlement les plans du ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, qui rêve d'une commission des valeurs mobilières nationale.

«L'AMF aurait aussi le pouvoir de révoquer le droit de négocier (de la nouvelle entreprise) si jamais elle ne respecte pas ses engagements envers le Québec», a affirmé Richard Nesbitt, président de la Bourse de Toronto.

Fort bien. Mais Richard Nesbitt lui-même est venu brouiller les cartes. Il a laissé entendre que la Bourse NGX Canada, filiale de la Bourse de Toronto spécialisée dans les échanges financiers et les contrats à terme dans l'énergie, continuerait ses activités à Calgary comme si de rien n'était. Montréal a-t-il le monopole des produits dérivés ou ne l'a-t-il pas?

Richard Nesbitt a aussi affirmé que la Bourse de Toronto conserverait sa toute nouvelle plate-forme électronique de négociation (Quantum), qui sera lancée au cours des prochains jours. Il faut voir que Toronto a investi une petite fortune dans ce système.

Or, il serait illogique de conserver deux systèmes distincts, surtout si l'entreprise fusionnée recherche des économies d'échelle de 25 millions par an.

Le système Sola de la Bourse de Montréal est toutefois réputé pour sa performance, lui qui doit traiter un volume de transactions beaucoup plus important; en effet, des dizaines de produits dérivés peuvent être associés à une action ou à une obligation.

Si Sola peut aussi exécuter les transactions au comptant, il n'est pas clair que Quantum peut aussi bien exécuter les transactions sur les produits dérivés. En plus, Sola est moins coûteux à exploiter.

Interrogé à ce sujet, Luc Bertrand, qui deviendra le grand patron des dérivés et de la technologie dans la future TMX, est resté évasif. «On va prendre le meilleur de l'un et de l'autre: il reste beaucoup de choses à ficeler», dit-il.

D'après nos informations, toutefois, la Bourse NGX tombera sous la coupe de la Bourse de Montréal. Le nouveau système de négociation de la Bourse TMX s'inspirera «fortement» de Sola.

Et c'est Montréal qui exécutera la compensation des transactions, soit l'appariement des ordres et le règlement des transactions. Dans l'entourage de la ministre Jérôme-Forget, on évoquait même le transfert dans la métropole de 50 postes en technologies de l'information.

Bref, ce sont de bonnes nouvelles qu'on ne souhaite pas crier sur tous les toits.

Reste à voir si les gains et assurances obtenus par Québec se trouveront bel et bien dans les textes finaux. Car, comme l'a dit avec justesse Monique Jérôme-Forget, «le diable est dans le détail».