Une opinion largement répandue veut que le Québec ne consacre pas assez de ressources à la recherche industrielle. Cette négligence, dans une économie de plus en plus dominée par les nouvelles technologies et l'innovation scientifique, pourrait finir par lui coûter très cher.

Une opinion largement répandue veut que le Québec ne consacre pas assez de ressources à la recherche industrielle. Cette négligence, dans une économie de plus en plus dominée par les nouvelles technologies et l'innovation scientifique, pourrait finir par lui coûter très cher.

Or, voici que de nouvelles séries de données publiées vendredi par l'Institut de la statistique du Québec (ISQ) viennent apporter un sérieux bémol à ce raisonnement. Encore mieux: compte tenu de ses moyens, on peut même dire que le Québec, en matière de recherche industrielle, fait figure de leader au Canada.

Les chiffres de l'ISQ portent sur ce que les experts appellent les DIRDE (dépenses intra-muros en recherche et développement des entreprises). En clair, cela englobe tout l'argent investi par les entreprises dans les activités de recherche et de développement, tels les salaires, les dépenses courantes et les immobilisations. La précision «intra muros» signifie que ces activités sont effectuées par les employés de l'entreprise, dans les locaux de l'entreprise; cela exclut donc les contrats donnés à l'extérieur.

C'est un indicateur important. Plus les DIRDE sont élevés, plus cela dénote un entrepreneurship dynamique et innovateur, sans compter les emplois de qualité qui viennent avec.

En 2005, dernière année pour laquelle on dispose de chiffres complets, les entreprises québécoises ont investi 4,2 milliards en recherche industrielle. Ce montant représente un léger recul par rapport aux 4,3 milliards de l'année précédente. N'empêche: sur une période plus longue, la progression est manifeste. En 1991, les mêmes dépenses atteignaient à peine 1,5 milliard; c'est dire qu'elles ont triplé en une quinzaine d'années. Même en tenant compte de l'inflation, il s'agit d'une poussée considérable.

En quasi-totalité, cet argent provient des entreprises. Cela se comprend: la recherche industrielle vise à améliorer des produits existants et à en créer de nouveaux; ultimement, elle vise donc à augmenter les ventes et les profits de l'entreprise. C'est donc à l'entreprise de financer ces travaux. Il existe bien quelques programmes d'aide gouvernementale, mais ceux-ci sont négligeables: sur les 4,2 milliards de dépenses dont nous venons de parler, les contributions des gouvernements (fédéral et provincial réunis) dépassent à peine 150 millions. Autrement dit, les entreprises privées assument 97% du financement de la recherche industrielle.

On aura une bien meilleure idée de l'effort québécois en calculant les DIRDE par rapport à la taille de l'économie.

Par exemple, l'Ontario, toujours en 2005, a investi 8 milliards en recherche industrielle. C'est presque deux fois plus que le Québec. Mais le produit intérieur brut (PIB) ontarien représente le double, et même plus, du PIB québécois. En conséquence, les dépenses de recherche atteignent 1,53% du PIB au Québec, contre 1,5% en Ontario. La moyenne canadienne est de 1,12% parce qu'il se fait peu de DIRDE dans les autres provinces.

Compte tenu de sa capacité de payer, le Québec fait donc aussi bien, et même un peu mieux, que l'Ontario, et distance nettement le reste du Canada.

Encore ici, il est important de voir comment les choses ont évolué avec le temps. En 1991, les chiffres correspondants étaient de 0,98% pour le Québec et de 1,04% pour l'Ontario. Il y a donc eu un net revirement en faveur du Québec.

Deux ombres au tableau:

> La somme investie en recherche par les entreprises québécoises est demeurée pratiquement inchangée depuis 2001; cela signifie que, par rapport à la taille de l'économie, elle perd de la valeur année après année. L'année-record à ce chapitre est 2001, avec des dépenses correspondant à 1,80% du PIB. Même si la situation s'est nettement améliorée depuis le début des années 90, le recul des récentes années est inquiétant.

> Par rapport aux autres pays, le Québec ne casse rien. Certes, là aussi, il y a eu rattrapage important. En 1991, les DIRDE atteignaient 0,98% du PIB au Québec, un retard considérable sur le moyenne de 1,49% observée à l'époque dans les pays de l'OCDE. Quinze ans plus tard, la proportion québécoise de 1,53% se situe exactement au même niveau que la moyenne de l'OCDE. Malgré ce rattrapage, le Québec continue d'accuser un retard, suivant de loin des pays comme la Suède (2,73% du PIB), le Japon (2,54%), la Corée du Sud (2,29%), la Suisse (2,14%), l'Allemagne (1,72%), pour ne nommer que ceux-là. Si le Québec parvenait à obtenir un résultat comparable à celui de la Suède, ce seraient 3,3 milliards additionnels qui seraient investis en recherche industrielle. Autre danger: les entreprises américaines, de loin les plus redoutables concurrentes des entreprises québécoises, sont nettement en avance avec 1,83%.

Enfin, comme on s'en doute, l'effort québécois de recherche industrielle est massivement concentré dans la région de Montréal. Sur des dépenses de 4,2 milliards, Montréal, Laval et la Montérégie absorbent à elles seules 3,5 milliards. Pour chaque tranche de 1000 travailleurs, on trouve 34 chercheurs à Montréal, 13 à Laval, 9 en Montérégie, mais seulement 0,7 en Gaspésie et 0,2 sur la Côte-Nord.