En Roumanie et dans certains pays de Europe de l'Est, des propriétaires de maisons ont récemment développé un goût prononcé pour les finances exotiques.

En Roumanie et dans certains pays de Europe de l'Est, des propriétaires de maisons ont récemment développé un goût prononcé pour les finances exotiques.

La raison: des banquiers leur proposent ces temps-ci un nouveau type de crédit: des prêts personnels et des hypothèques libellés en yens. Un drôle de truc, certes, mais qui leur permet d'épargner jusqu'à 5% par rapport à une hypothèque domestique, selon des médias britanniques.

Plus qu'une curiosité culturelle, ce phénomène est étroitement lié à un déséquilibre inquiétant qui sévit dans le monde complexe de la finance: les taux d'intérêt exceptionnellement faibles au Japon.

Depuis plusieurs mois, le taux directeur au pays du Soleil Levant languit à 0,25%. Un-quart-de-un-pour-cent. Des banquiers appelleraient ça «offrir de l'argent pas cher».

Ce taux est le résultat du long et dur combat que mène la Banque du Japon pour sortir la deuxième plus grande économie de la planète d'une léthargie qui perdure depuis plus de 10 ans.

En fixant ainsi les taux d'intérêt, les autorités espèrent requinquer l'investissement et surtout la consommation – deux secteurs qui végètent depuis des années.

Cette politique monétaire super accommodante fait en sorte que le rendement d'une obligation du gouvernement japonais, de cinq ans, ne rapporte que 1,3% ces jours-ci.

Or, comme les banques se financent sur le marché obligataire pour concocter leurs hypothèques, cela explique pourquoi un habitant de Tokyo peut profiter de taux fort avantageux. Et voilà pourquoi des banques européennes arrivent à mijoter, par des arrangements financiers complexes, des hypothèques imbattables pour leurs propres clients... qui en raffolent.

Spéculation

Or, les hypothèques à la sauce nipponne ne constituent que la pointe de l'iceberg d'un jeu financier dangereux qui risque d'avoir des conséquences pour tout le monde.

C'est que les taux japonais hyper faibles nourrissent des échanges de monnaies colossales – de plusieurs milliards par jour - d'un bout à l'autre de la planète. Ce commerce a atteint «des niveaux alarmants», déplore la firme Barclays Capital, car il pourrait déclencher une crise financière si les taux japonais se mettent à grimper subitement.

Ces transactions spéculatives, appelées «carry trades» à Wall Street, fonctionnent en gros ainsi: chaque jour, des investisseurs à New York, Toronto et Londres s'installent devant leur ordinateur et empruntent des milliards de yens sur le marché des changes. Puis, en deux clics de souris, ils réinvestissent le tout dans les pays où les taux sont plus élevés, comme en Nouvelle-Zélande où le taux directeur est à 7,5%.

Pas besoin d'un doctorat en finances pour comprendre que cette manoeuvre simple est payante... en autant que les devises et les taux d'intérêt ne bougent pas trop.

Or, voilà que jeudi dernier, le doute s'est installé dans les milieux financiers. À la surprise générale, Tokyo a annoncé que l'économie japonaise a enregistré une croissance de 4,8% (chiffre annualisé) au quatrième trimestre, alors que les économistes tablaient sur un taux de 3,8%.

Même la consommation et l'investissement augmentent plus rapidement que prévu. Si bien que la pression s'accroît sur la Banque du Japon, qui devra tôt ou tard hausser les taux d'intérêt. D'ailleurs le yen, qui a piqué du nez ces derniers mois, se redresse peu à peu depuis jeudi.

Pour l'instant, les analystes écartent une envolée des taux japonais ou du yen, «sauf si l'économie au Japon croît à ce rythme un bout de temps», prévenait jeudi la firme UBS.

Le cas échéant, les experts craignent une ruée des spéculateurs vers les portes de sortie. Suivraient alors des ventes de feu de titres, accompagnées de mouvements brusques de toutes les devises et des Bourses en raison des liens étroits entre les marchés financiers. Sans oublier nos amis roumains, qui verraient disparaître les avantages de leur hypothèque nipponne en moins de temps qu'il faut pour dire «où sont mes yens?».

Le danger est tel que le président de la Banque centrale européenne a cru bon intervenir. «Les marchés doivent être conscients que les gageures à sens unique (visant le yen) sont risquées», avertissait Jean-Claude Trichet durant la réunion du G-7, en Allemagne, il y a 10 jours.

Alors un petit conseil aux acheteurs de maisons chez nous qui auraient envie de négocier leur hypothèque dans une banque roumaine: attendez un peu avant d'acheter un billet d'avion pour Bucarest.