Je suis entré sur le marché du travail en 1961. Commis de banque junior.

Je suis entré sur le marché du travail en 1961. Commis de banque junior.

Carrière prometteuse en vue: après quelques mois à la banque, j'ai vite compris qu'un jeune homme le moindrement débrouillard et travailleur pouvait rapidement gravir les échelons: commis senior, caissier, assistant-comptable, comptable et probablement, un jour, directeur de succursale ou cadre supérieur au siège social.

J'ai bien dit , parce que pour les filles, tout espoir de promotion s'arrêtait au poste de caissière. Plus haut que cela, pour une femme, c'était impensable.

De sorte qu'après quatre ans, je me suis retrouvé assistant-comptable, supérieur hiérarchique d'une demi-douzaines de caissières, toutes beaucoup plus âgées que moi (quand vous êtes un ti-cul au début de la vingtaine, les femmes de 35 ans sont toutes des vieilles!).

La même année, je m'en souviens comme si c'était hier, est arrivée une petite révolution dans le monde politique québécois: pour la première fois, une femme, Claire Kirkland-Casgrain, était élue à l'Assemblée législative qui, en ces temps lointains, ne s'appelait pas encore Assemblée nationale.

J'ai encore fraîchement à la mémoire les commentaires de certains collègues masculins à la banque: une femme député, voyons donc, ça n'a pas de maudit bon sens!

Aujourd'hui, l'Assemblée nationale compte 40 femmes (sur 125 membres), et leur nombre augmente à chaque élection depuis 1973. Et si le Québec n'a pas encore vu sa première présidente de banque, elle est bien révolue et enterrée l'époque où tout espoir de carrière bancaire, pour une femme, s'arrêtait dans une cage de caissière.

Un homme de 1961 qui serait brusquement téléporté en 2006 serait incapable de reconnaître son monde, tant les choses ont évolué.

Quand j'étais petit, la vaste majorité des femmes restait à la maison, et celles qui étaient sur le marché du travail occupaient de petits emplois; quant aux rares femmes qui conduisaient une voiture, elles étaient considérées comme des originales.

Tout cela a changé. Comment les hommes se sont-ils adaptés à ces bouleversements?

Aujourd'hui, à Montréal, une quinzaine d'experts se pencheront sur cette question dans le cadre d'un important colloque organisé conjointement par La Presse et Radio-Canada. J'ai assez hâte de voir ce qu'ils en pensent (1).

C'est probablement sur le marché du travail que les bouleversements ont été les plus profonds.

Il y a quarante ans, en 1966, le taux d'activité des femmes se situait à 35 %, contre 80 % pour les hommes.

Le taux d'activité exprime la proportion des personnes de 15 ans et plus qui occupent un emploi ou qui sont activement à la recherche d'un emploi.

Autrement dit, deux femmes sur trois étaient absentes du marché du travail, contre seulement un homme sur cinq.

Aujourd'hui, le taux d'activité des hommes a sensiblement diminué, à 74 %, alors que celui des femmes a bondi à 61 %.

L'arrivée massive des femmes sur le marché du travail a évidemment contribué à propulser le taux d'activité de l'ensemble de la population à des niveaux records.

Toujours au cours des quarante dernières années, le taux d'activité est passé de 57 à 67 %, ce qui est une excellente chose. Plus le taux d'activité est élevé, mieux c'est.

Certes, il existe toujours un écart salarial entre les hommes et les femmes, mais celui-ci se rétrécit constamment.

Le salaire horaire moyen des femmes atteint aujourd'hui 86 % de celui des hommes.

Il faut toutefois nuancer cette affirmation: comme les femmes travaillent en moyenne cinq heures et demie de moins à l'extérieur que les hommes, leur salaire hebdomadaire moyen se situe à 76 % de celui des hommes.

Le rattrapage est loin d'être fini; on pourrait même dire qu'il ne fait que commencer.

Pour la première fois en 1987, les filles ont été plus nombreuses que les garçons à s'inscrire à l'université.

Depuis, la proportion de filles augmente sans arrêt; elles comptent maintenant pour 60 % des inscriptions, et sont majoritaires dans presque toutes les facultés, y compris en administration.

Comme les diplômés universitaires héritent des meilleurs emplois, chaque nouvelle fille qui arrive sur le marché du travail avec son diplôme contribue à rétrécir l'écart salarial hommes-femmes.

Au rythme où vont les choses, ce n'est qu'une question de temps avant que l'écart soit comblé.

Le colloque d'aujourd'hui permettra de mieux comprendre comment les hommes réagissent à tout cela.

Mais déjà, on peut penser qu'ils s'adaptent plutôt bien. Statistique Canada a publié cet été les résultats d'une vaste enquête sur le travail non rémunéré, comme les soins aux enfants, les courses, l'entretien de la maison, la cuisine, le ménage et autres travaux domestiques.

Il en résulte que plus les femmes arrivent sur le marché du travail, plus les hommes participent aux tâches communes.

Certes, se sont encore les femmes qui assument le gros des tâches domestiques, mais de plus en plus d'hommes partagent le boulot.

Ainsi, les femmes consacrent en moyenne 4,3 heures par jour aux enfants et aux travaux domestiques, contre 4,8 heures il y a vingt ans. Chez les hommes, les chiffres correspondants sont de 2,5 et 2,1 heures.

Autrement dit, il y a vingt ans, à chaque fois que Monsieur consacrait une heure aux travaux domestiques, Madame devait travailler 2,2 heures. Aujourd'hui, c'est une heure pour lui, contre 1,7 heure pour elle.

Il faut cependant noter que la journée de travail de l'homme à l'extérieur est sensiblement plus longue. En tenant compte à la fois du travail à l'extérieur et des travaux domestiques, la journée de travail est exactement la même chez les deux sexes: 8,8 heures.

Comme quoi les hommes semblent bien s'adapter, et ne s'en portent visiblement pas plus mal.

(1) Les documents du colloque seront mis gratuitement à la disposition du public au cours des prochains jours. Pour les télécharger, taper www.lesconferences-lapresse-radio-canada.ca