Bell Canada souffle cette année ses 128 bougies. Mais cette géante des télécoms tourne le dos à ce passé, qu'elle traîne comme un boulet, dans l'espoir de se réincarner en une entreprise leste qui saura reconquérir les Canadiens mécontents de ses services.

Bell Canada souffle cette année ses 128 bougies. Mais cette géante des télécoms tourne le dos à ce passé, qu'elle traîne comme un boulet, dans l'espoir de se réincarner en une entreprise leste qui saura reconquérir les Canadiens mécontents de ses services.

«C'est le jour 1 d'un programme de 100 jours qui va complètement changer la donne», a claironné le nouveau président et chef de la direction de BCE, George Cope, en entrevue téléphonique avec La Press hier.

«Il faut que le service à la clientèle de Bell retrouve le niveau auquel il devrait se situer», a-t-il ajouté. Rien de moins.

C'était aussi le jour 1 de George Cope, désigné par les futurs propriétaires de l'entreprise il y a neuf mois pour succéder à Michael Sabia. Neuf mois durant lesquels ce dirigeant de 46 ans a rongé son frein tandis que BCE s'empêtrait dans sa transaction de vente à un consortium d'investisseurs privés piloté par la caisse de retraite ontarienne Teachers.

Le financement bouclé, cette transaction devrait se conclure d'ici au 11 décembre. Mais il n'est pas question d'attendre jusque-là, même si cette prise de possession effective des futurs propriétaires crée une sorte de précédent en gouvernance.

«La concurrence bouge rapidement : chaque journée compte», dit George Cope, tandis que des Montréalais faisaient la queue, rue Sainte-Catherine, pour mettre la main sur les convoités iPhone d'Apple, vendus en exclusivité par Rogers.

Ceux qui attendaient avec impatience d'en savoir plus sur ce fameux plan de 100 jours sont restés sur leur faim. Ce plan vise à «recentrer rapidement l'entreprise sur l'amélioration de l'expérience client tout en déployant de nouvelles initiatives concurrentielles en matière de service, de réseau et de marketing», dit le communiqué.

Avec La Presse, George Cope n'a pas davantage ouvert son jeu, ou si peu, ce qui a donné à l'entrevue les allures d'un exercice de décryptage.

Par exemple, il a refusé de discuter des délestages anticipés par les observateurs de l'industrie, même si BCE est en voie d'être privatisée. Toutefois, le distributeur télé par satellite Bell ExpressVu n'est clairement pas à vendre, contrairement aux spéculations de certains analystes financiers.

«Bell ExpressVu est essentiel à notre stratégie et est essentiel à notre bouquet de services résidentiels», a martelé George Cope.

Le grand patron de BCE n'a pas non plus levé le voile sur les choix technologiques que Bell Canada compte faire. Dans le sans-fil, par exemple, George Cope n'entend pas larguer à court terme le standard CDMA pour embrasser le GSM, comme Rogers et le reste de la planète, même si cette norme nord-américaine semble destinée à rejoindre la cassette Betamax et les disques de format HD-DVD au cimetière des technologies qui ont échoué à s'imposer.

«Pour l'instant, le CDMA va rester», dit George Cope, en précisant que Bell se sent tout à fait équipée pour rivaliser avec ses concurrents dans les services de transmission de données. Le mot-clé étant «pour l'instant».

Bell Canada ne vise pas à dépasser Rogers, qui l'a détrôné au Canada pour le nombre d'abonnés sans-fil. L'objectif de Bell est plutôt «d'être l'entreprise sans-fil la plus rentable au pays», précise ce spécialiste qui a plus de 20 années d'expérience derrière sa cravate ocre rayée - c'est l'homme derrière le succès Clearnet, vendue au gros prix à Telus en 2000. La nuance a son importance.

N'empêche, George Cope mise beaucoup sur le lancement en août du téléphone Instinct, de Samsung. Il s'agit d'un téléphone à clavier tactile comme le iPhone mais beaucoup moins onéreux à acheter et à utiliser que l'appareil d'Apple vendu par Rogers. (Il est d'ailleurs curieux que Bell soit l'entreprise qui offre le produit le moins cher, elle qui se trouve généralement à l'autre bout du spectre. Mais George Cope assure que cela n'annonce pas un nouveau parti pris pour une concurrence suicidaire sur les prix.)

Est-ce que ce sont les deux castors qui vont vanter les prouesses du téléphone Instinct? Ou est-ce que Bell compte remercier Bertrand et Jules, deux personnages controversés créés par l'agence publicitaire Cossette de Québec? «Ils ont fait un travail remarquable pour nous», a dit George Cope sur le ton de l'oraison funèbre, avant de se ressaisir et d'affirmer qu'il ne dévoilera pas sa stratégie marketing à la concurrence.

George Cope se fait tout aussi évasif sur les suppressions d'emplois que certains craignent, surtout à Montréal, où se trouve le siège social de BCE. Mais si BCE se restructure encore une fois, la direction pourra au moins se targuer d'avoir donné l'exemple. L'entreprise a remanié sa direction, qui ne compte plus que 12 dirigeants contre 17 auparavant.

S'il y a quelques dirigeants qui travaillent chez BCE depuis fort longtemps, que l'on pense à Trevor Anderson aux réseaux ou à Martine Turcotte aux affaires juridiques, la garde rapprochée se compose surtout de patrons qui sont arrivés ou qui ont effectué un retour récent chez Bell, soit en 2005 ou en 2006.

Aussi, George Cope s'est entouré de quelques-uns de ses anciens collègues de Clearnet, une société qu'il a dirigée pendant 13 ans. Du lot se trouvent David Wells (services généraux), un nouveau venu, Wade Oosterman (Bell Mobilité) et Charles Brown (PME et région de l'Ouest).

Ainsi, le centre de décisions semble se rapprocher de Toronto, où George Cope compte rester avec ses trois enfants, deux garçons jumeaux de 18 ans et une adolescente de 14 ans. George Cope assure que le siège social restera ici et qu'il fera l'aller retour entre les deux villes. Reste à voir quelle sera la vraie influence décisionnelle de Montréal.