Michael Sabia, que l'on croise parfois aux matchs du Canadien de Montréal avec sa fille, Laura, se retrouve aujourd'hui dans la position d'un coach qui n'aurait pas accédé aux séries éliminatoires pendant cinq ans.

Michael Sabia, que l'on croise parfois aux matchs du Canadien de Montréal avec sa fille, Laura, se retrouve aujourd'hui dans la position d'un coach qui n'aurait pas accédé aux séries éliminatoires pendant cinq ans.

Les actionnaires de BCE ont beau être plus patients que les amateurs de hockey, leur résignation a des limites.

Que le conglomérat BCE se fasse courtiser par Kohlberg Kravis Roberts & Co. (KKR), c'est une chose. Les fonds d'investissement privés ont de l'argent à ne plus savoir quoi en faire: ils tendent leur ligne un peu partout. Mais que son actionnaire le plus important, le Régime de retraite des enseignants de l'Ontario, mieux connu sous son surnom anglais de Teachers', en vienne même à considérer un rachat de la société mère de Bell Canada, c'est tout autre chose. L'exaspération s'est muée en action.

L'engrenage de la grande re-structuration tourne. Et on voit mal comment le grand patron de BCE pourra renverser la vapeur, lui qui refuse officiellement d'entretenir des pourparlers au sujet d'une vente éventuelle. Il est minuit moins une.

Voilà cinq ans que Michael Sabia a pris les commandes de BCE. Cinq années au cours desquelles l'ancien dirigeant du Canadien National a trimé pour recentrer l'entreprise de télécommunications sur sa mission première. Sous son prédécesseur Jean Monty, BCE s'était lancée dans une course folle aux acquisitions avec les milliards empochés lors de la vente de ses actions de Nortel et d'une participation de 20 % dans Bell Canada.

Michael Sabia a administré la médecine des fonds d'investissement privés, qui seraient d'ailleurs assez mal placés pour le lui reprocher. Il a cédé plusieurs participations qui n'étaient pas essentielles à BCE. Téléglobe, Bell Canada International, CGI ont ainsi poursuivi leur chemin, pour le meilleur et pour le pire.

BCE est restée attachée à CTVglobemedia, certes. Mais même si BCE se décidait à vendre ce qui lui reste, une participation de 15 %, elle ne récolterait guère qu'environ 300 millions de dollars.

En décembre, Michael Sabia a même réussi un coup fumant en cédant sa filiale Télésat Canada à un consortium formé de Loral Space & Communications et de l'Office d'investissement des régimes de pensions du secteur public du Canada. Après remboursement de sa dette, BCE a empoché 3,25 milliards de dollars, alors que, dans un premier temps, l'entreprise avait seulement prévu récolter 1 milliard en lançant cette filiale en Bourse.

Les actionnaires de BCE avaient sans doute besoin d'un dirigeant plus prudent, plus straight, après les flamboyantes années Monty. Mais voilà, il est toujours plus facile de vendre que d'investir dans l'avenir. Et c'est là que le bât blesse. Car les actionnaires se demandent encore où Michael Sabia s'en va. Et ce que BCE fera de ses milliards.

Jusqu'à maintenant, la recette que le dirigeant de 53 ans a concoctée est on ne peut plus fade. On rembourse la dette. On augmente le dividende. On rachète des actions. On investit dans la mise à jour du réseau. Un petit peu par-ci, un petit peu par-là.

Et la croissance, elle? Michael Sabia parie encore que les Canadiens seront prêts à payer plus pour un bouquet de services de télécommunications «différencié», ce qu'on suppose être nettement meilleur. Or, la concurrence des câblodistributeurs dans les grandes villes a jusqu'à maintenant démontré le contraire.

À moins qu'une panne du réseau téléphonique de Vidéotron ne vienne refroidir les ardeurs de ses clients, les consommateurs ne voient pas vraiment la différence et les transfuges sont de plus en plus nombreux.

Le succès des câblodistributeurs en téléphonie locale a eu au moins une chose de bon, puisque Bell et Telus peuvent maintenant rivaliser à armes égales avec les câblos. Avec la déréglementation qui commence officiellement mercredi prochain, ils pourront répliquer plus directement aux offensives des câblos et des autres fournisseurs de services téléphoniques internet, avec des forfaits et de nouvelles promotions.

Mais c'est trop peu, trop tard pour les actionnaires de BCE qui ont vu leurs actions végéter sous la barre des 30 $ depuis cinq ans. Il n'y a que les rumeurs au sujet d'une prise de contrôle qui ont dopé le titre au cours des derniers mois.

Les actionnaires exaspérés rêvent d'une stratégie qui sortirait le titre de son marécage. Quelque chose de plus ambitieux, de plus épatant. Une vision, quoi.

Pourquoi pas une fusion avec Telus, le géant des télécommunications de Vancouver? La concurrence est rendue tellement vive dans la plupart de leurs créneaux de marché qu'il est possible d'envisager une telle transaction sans que le Bureau de la concurrence ne mette des bâtons dans les roues. Là il y aurait des économies d'échelles.

Pourquoi pas une stratégie de diversification internationale, à l'inspiration de celle pilotée par le groupe britannique Vodafone? Le deuxième fournisseur de services sans fil derrière China Mobile (187 millions de clients) a investi dans des opérateurs qui exploitent des réseaux dans des pays en développement. Vodafone est aussi en voie de compléter son réseau européen. L'entreprise a connu des revers, il est vrai, mais elle a établi les assises de ses succès futurs.

À défaut d'une vision plus convaincante de son avenir, le conglomérat aura du mal à justifier sa raison d'être devant ses actionnaires impatients le 6 juin prochain. BCE sera bonne pour l'abattoir des KKR de ce monde.