Si vous avez eu une impression de déjà vu vendredi, vous ne rêviez pas.

Si vous avez eu une impression de déjà vu vendredi, vous ne rêviez pas.

Pour la deuxième fois, Bombardier se place en début de piste pour décoller avec la CSeries, sa nouvelle famille d'avions commerciaux.

Pour la deuxième fois, Bombardier réclame une fortune des gouvernements, précisément 1 milliard 67 millions US. Pour la deuxième fois, Bombardier menace de déménager les emplois manufacturiers ailleurs si les élus n'obtempèrent pas.

«Étant donné la force du dollar canadien et de la livre anglaise, nous évaluons d'autres sites d'assemblage aux États-Unis», a dit d'entrée de jeu Pierre Beaudoin, grand patron de la division aéronautique et futur président de Bombardier. Ce chantage qui ne s'embarrasse pas de sous-entendus a au moins le mérite d'être clair.

Vous pensiez que le psychodrame du financement de la CSeries était terminé depuis mai 2005, lorsque les gouvernements du Québec, du Canada et du Royaume-Uni avaient annoncé une aide totalisant 700 millions US? C'est mal connaître Bombardier.

Voyez-vous, les frais de R&D de la CSeries ont grimpé depuis que Bombardier a mis en veilleuse son projet en février 2006, faute de clients.

Pour développer deux avions commerciaux de 110 et de 130 passagers, il en coûtera 2,5 milliards US, non plus 2,1 milliards US.

Or, Bombardier tient encore mordicus à une répartition égale des coûts entre les gouvernements, ses fournisseurs et elle-même.

Déjà là, la facture des gouvernements grimpe.

Toutefois, Bombardier ambitionne encore. Elle additionne en plus les dépenses en immobilisations, qui comprennent la construction d'une usine et l'outillage pour les sections des avions fabriquées à l'interne.

Il y en a pour 700 millions US, ce qui fait grimper la note à 3,2 milliards US. Comme les gouvernements doivent assumer le tiers de ces coûts, ils devraient allonger 366 millions US de plus que ce qui avait été convenu en 2005!

Bref, il faut tout reprendre les négociations.

«Tout est dans le timing», dit Gary Scott. Ce responsable du projet CSeries faisait référence au fait que les avions de la CSeries arriveraient au bon moment. Les transporteurs ont repris du poil de la bête. De nouvelles technologies sont disponibles.

Les géants Boeing et Airbus ont (espère-t-il!) la tête ailleurs, compte tenu que leurs carnets de commandes débordent.

Il ne croyait pas si bien dire. Tout est dans le timing. Si Bombardier doit lancer la CSeries avant la fin de 2008 pour livrer ces appareils en 2013, ce premier feu vert du conseil d'administration ne survient pas à un moment fortuit.

À quelques jours d'un budget fédéral qui pourrait forcer le déclenchement d'élections, Bombardier s'assure de devenir un enjeu. Jamais elle n'aura un meilleur rapport de force.

Mieux vaut négocier avec un gouvernement minoritaire en quête de réélection qu'avec un gouvernement - majoritaire? - fraîchement réélu. D'autant plus qu'à une époque pas si lointaine, Stephen Harper était un adepte du "Bombardier bashing".

Le même raisonnement vaut au Québec où les libéraux de Jean Charest sont tout aussi minoritaires.

Déjà vendredi, la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), qui représente les machinistes de Bombardier, a commencé à appliquer la pression. La FTQ vise en particulier Ottawa, qu'elle perçoit comme étant plus réfractaire aux nouvelles demandes de Bombardier.

«On va s'assurer de mettre la pression qu'il faut sur les gouvernements et sur l'employeur pour que les avions soient fabriqués ici», dit Dave Chartrand, directeur du district 11 de l'Association internationale des travailleurs de l'aérospatiale (FTQ).

Ironiquement, quand on fait remarquer à Dave Chartrand que cette même menace de délocalisation pourrait jouer contre les travailleurs de Bombardier Aéronautique qui doivent renégocier leur contrat de travail à l'automne, le dirigeant syndical tient un autre discours.

«Les gens ont fait ce qu'il fallait pour garder la CSeries ici il y a trois ans, dit-il. On ne marchera pas au chantage chaque fois.»

Pierre Beaudoin se défend de quémander des subventions. Les prêts qui avaient été consentis à Bombardier par les gouvernements en 2005 étaient remboursables en fonction des ventes des appareils.

Toutefois, les modalités de ces prêts avaient été gardées secrètes: on ignore combien d'appareils Bombardier devait vendre avant que les gouvernements ne récupèrent leur argent.

«Les contributions des gouvernements doivent être considérées comme des investissements», dit Pierre Beaudoin.

Soit. Si c'est un investissement, soupesons-le comme tel.

Tout le monde s'entend sur le principe de soutenir une industrie stratégique pour le Canada. Ainsi, la CSeries consoliderait le leadership de Montréal et de Belfast en aéronautique - en supposant que ces appareils connaissent un succès commercial. Mais, à quels risques? Et à quel prix?

Un milliard pour créer de 3200 à 4500 emplois directs chez Bombardier, ce n'est pas donné! Cela peut toujours se défendre si c'est la meilleure façon de promouvoir l'aérospatiale au Canada et en Irlande du Nord. Or, l'aventure que propose Bombardier est fort risquée.

La CSeries a indéniablement des avantages. Grâce à l'emploi de matériaux composites et de métaux légers, grâce à un nouveau moteur de Pratt & Whitney, ces avions économiseront le carburant et seront moins coûteux à exploiter.

Mais est-ce que les transporteurs qui exploitent des Boeing et des Airbus voudront acquérir un avion orphelin, qui exigera des dépenses supplémentaires en formation des pilotes, en maintenance et en pièces de rechange.

Et est-ce que Boeing et Airbus laisseront Bombardier jouer dans la cour des grands sans répliquer? Rien n'est moins sûr.

C'est ce que les gouvernements devraient soupeser avant d'offrir un milliard de dollars en financement. Mais il est douteux que les politiciens en quête de réélection se livrent à cet exercice. Ils feront un calcul tout politique et sortiront leur chéquier.

Au moment où on se parle, je parie que le chèque est déjà à la poste.