Avec la récession qui s'installe, le protectionnisme fait un retour. En Russie, en Inde ou aux États-Unis, les gestes en ce sens se multiplient, même si l'histoire nous dit de renoncer à cette tentation.

L'industrie automobile est en crise, on le sait.

À l'échelle mondiale, la capacité de production des usines est de 92 millions de véhicules par an, tandis que la demande atteindra à peine 60 millions l'an prochain, selon la firme américaine CSM Worldwide. Un fossé énorme.

Devant une telle situation, que peut-on faire pour soutenir une industrie qui fait vivre des milliers de travailleurs?

Le premier ministre russe, Vladimir Poutine, a déjà sa réponse: haussez les tarifs sur les voitures importées, comme il vient de le faire. C'est une solution pas compliquée, rapide et ça apaise la grogne des fabricants locaux...

Depuis un mois, des gestes de protectionnisme plus ou moins évidents se multiplient, signe que la crise économique ravive un vieux réflexe de repli sur soi.

L'Inde vient d'imposer des quotas à l'importation d'acier pour protéger ses usines locales. La Chine a accordé des exemptions de taxe à des exportateurs nationaux pour les rendre plus compétitifs. Même la France s'est dotée d'un «bouclier» de 8 milliards CAN pour repousser les mainmises étrangères sur ses compagnies.

L'erreur Smoot-Hawley

Pourtant, l'histoire nous enseigne que le protectionnisme est l'une des pires choses à faire en période de récession. Un bel exemple à ne pas suivre: la loi Smoot-Hawley, une trouvaille des Américains conçue il y a trois quarts de siècle pour sortir leur pays de la Grande Dépression.

En juin 1930, à peine neuf mois après le krach boursier à Wall Street, le représentant au congrès W.C Hawley et le sénateur Reed Smoot, deux républicains, ont fait adopter une loi, qui augmentait les tarifs à un niveau record sur plus de 20 000 produits importés.

Plus de 1000 économistes avaient alors signé une pétition dénonçant ce geste. Car, comme prévu, plusieurs pays ont aussitôt riposté en érigeant leurs propres barrières commerciales. Même le Canada avait imposé des tarifs sur 16 produits représentant près du tiers des importations américaines.

S'ensuivit une guerre commerciale aux effets désastreux: le commerce entre les États-Unis et l'Europe a chuté des trois quarts en deux ans. Et selon des données américaines, le commerce mondial a plongé de 66% de 1929 à 1934.

La loi Smoot-Hawley a été une grave erreur qui a exacerbé la récession, selon les experts. D'ailleurs, la reconnaissance de cette gaffe par la communauté internationale a mené à l'accord Bretton Woods, en 1944, qui assouplissait les tarifs sur les importations. Ce mea-culpa allait ensuite aboutir, dans les années 50, sur l'accord du GATT.

Pensez BRIC

Le protectionnisme qui émerge ces jours-ci est moins évident, plus subtil. Mais son ombre s'étend un peu partout. À preuve, les plans de relance économique envisagés par divers pays ont un fort penchant nationaliste, préviennent certains experts.

Ainsi, la priorité des plans américain, français ou encore canadien, qui sont en préparation, c'est que l'argent injecté par l'État sorte le moins possible des frontières. D'où le thème des «grands travaux» visant les infrastructures.

Selon une étude de l'agence française INSE, le raisonnement derrière ces plans est simple: pour chaque 100$US investis dans la consommation en Occident, c'est 30$US minimum d'importations chinoises qui s'ajoutent. Or, 100$US investis dans les infrastructures locales rapportent de 80 à 85$US au pays.

Le nationalisme économique est une réaction normale en cette période éprouvante, même souhaitable si l'on recherche un soulagement rapide. Investir dans les infrastructures donne de bons résultats. Mais le chacun pour soi est une stratégie dangereuse à long terme, affirme le réputé économiste Jim O'Neill, de la firme Goldman Sachs.

C'est lui qui a accouché de l'acronyme «BRIC» pour les puissances émergentes que sont le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine.

Dans un bulletin économique, le spécialiste rappelle que la consommation diminue aux États-Unis, ainsi que sa contribution à l'ensemble de l'économie. Si bien que la consommation passera de 72% du PIB américain, en 2007, à 65% ou moins d'ici quelques années.

Et le monde entier va en subir les conséquences.

L'émergence d'une nouvelle classe de consommateurs en Asie ou en Amérique latine, découlant d'un commerce international vigoureux, est donc essentielle pour assurer la relève et soutenir l'industrie mondiale.

M. O'Neill est catégorique. Le remède durable à nos maux économiques se trouve au-delà de nos frontières. «Les consommateurs du BRIC vont sauver le monde», prédit-il.