Luc Bertrand aurait dû personnellement inviter Jacques Parizeau, Claude Béland et Yves Michaud à venir assister à l'assemblée extraordinaire de la Bourse de Montréal, mercredi. Mieux, il aurait dû leur envoyer une voiture avec chauffeur pour les cueillir à la maison.

Luc Bertrand aurait dû personnellement inviter Jacques Parizeau, Claude Béland et Yves Michaud à venir assister à l'assemblée extraordinaire de la Bourse de Montréal, mercredi. Mieux, il aurait dû leur envoyer une voiture avec chauffeur pour les cueillir à la maison.

L'ancien premier ministre du Québec aurait pourfendu l'achat du parquet mont-réalais par la Bourse de Toronto avec toute la fougue qui l'anime encore.

L'ancien président du Mouvement Desjardins aurait critiqué cette transaction qui éloignera encore de Montréal le centre de décisions financières.

Le président-fondateur du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires aurait monopolisé le micro avec une autre de ses envolées «financièro-littéraires» qui a le don d'exaspérer les banquiers.

Bref, ces nationalistes québécois auraient crié haut et fort leur outrage devant la perte de la Bourse de Montréal qui, à 134 ans, est encore plus vieille que l'hôtel Ritz-Carlton, où se tenait la rencontre.

À la place, les rares actionnaires qui avaient bravé la tempête de neige ont eu droit à un vote digne de la réélection perpétuelle de Fidel Castro.

Au salon ovale orné de chandeliers, de dorures et d'un immense lustre en cristal, personne ne s'est levé pour poser une question, pas une seule.

Les actionnaires ont approuvé la transaction dans une proportion de 99,6%. En 40 minutes, l'affaire était liquidée. Et c'est en grignotant des viennoiseries que les actionnaires papotaient ensuite comme s'ils étaient venus au Ritz pour prendre le thé.

Le message que cela envoie, c'est que la Bourse de Montréal a négocié une bien bonne transaction - surtout que ses derniers résultats financiers ne cassent rien.

Or, si personne au Québec ne déchire sa chemise, c'est forcément suspect pour Toronto.

D'autant plus que par une chance inouïe, provoquée par le départ soudain de Richard Nesbitt à la haute direction de la banque CIBC, c'est Luc Bertrand qui a toutes les chances de se retrouver à la tête de la grande Bourse canadienne.

C'est donc un Québécois qui piloterait le difficile exercice de rationalisation, avec toutes les coupes et transferts d'emplois que cela suppose

Déjà, la grogne commence à se faire entendre à Toronto. Brendan Caldwell, le grand patron de Caldwell Investment Management, a dénoncé cette semaine l'ingérence politique de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

À ses yeux, les engagements plus fermes et précis réclamés par la Caisse entraîneraient la création deux entreprises qui cohabiteraient sous un même toit plutôt qu'une société pleinement intégrée.

«Ce n'est pas une confédération, c'est une entreprise», a-t-il dit.

Visiblement, le monsieur n'a pas compris qu'à défaut d'un projet vendable au Québec, de transaction, il n'y aura point. C'est l'Autorité des marchés financiers (AMF) qui a le dernier mot.

Elle seule peut reconnaître la nouvelle TMX et lui donner le droit d'exercer ses activités au Québec. Or, l'AMF n'approuvera aucune transaction qui désavantage le Québec.

De toute façon, la plupart des amendements réclamés par la Caisse de dépôt ne sont que la confirmation des assurances que Luc Bertrand et les administrateurs de la Bourse de Montréal ont vantées lors de l'annonce de la transaction.

En principe, donc, cela ne devrait pas poser de problème.

Mais voilà, la réaction de Brendan Caldwell illustre à quel point il sera politiquement difficile d'amender le texte de l'entente intervenue entre la Bourse de Montréal et la Bourse de Toronto.

Amender ce texte, c'est ouvrir la porte à toutes sortes de changements et à la reprise de négociations qui, on le sait, ont été fort longues et houleuses. Bref, cela pourrait mettre en péril la conclusion même de la transaction.

Pas surprenant, donc, que Luc Bertrand ait repoussé mercredi toute suggestion que la transaction puisse être amendée en fonction des préoccupations exprimées par la Caisse.

«À mon avis, l'esprit de ce que réclame la Caisse se retrouve déjà dans la demande de reconnaissance que nous avons soumise pour approbation à l'AMF, a-t-il dit en anglais. Tous les ingrédients sont là pour que la Bourse de Montréal puisse continuer à croître à l'intérieur du nouveau groupe TMX.»

Mais voilà, comme l'a si bien dit la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, le diable est dans le détail. Par exemple, l'exclusivité de la Bourse de Montréal dans la négociation et le développement de produits dérivés tient uniquement au Canada, si on lit attentivement les engagements du nouveau groupe TMX envers l'AMF.

De Toronto, la nouvelle bourse TMX ne pourrait-elle pas lancer une nouvelle initiative dans les produits dérivés avec son partenaire américain International Securities Exchange (ISE), une filiale à part entière de Eurex, qui fait partie du Deutsche Borse Group?

Les deux partenaires ne prévoyaient-ils pas déjà lancer une coentreprise dans les produits dérivés à compter de mars 2009?

Ce n'est pas pour rien que la Caisse réclame que toutes les initiatives du groupe TMX pour ce qui est des produits dérivés, «au Canada ou ailleurs», tombent sous la coupe de la future filiale Bourse de Montréal.

Ce n'est pas pour rien que la Caisse réclame la «résiliation de certains engagements déjà pris par le Groupe TSX».

Il n'est pas superflu, non plus, de définir plus précisément ce qu'on entend par un administrateur «résident du Québec». Un Torontois qui possède un chalet au Mont Tremblant peut-il être considéré comme un résident du Québec?

Bref, ce sont autant de brèches que le Québec devra colmater pour s'assurer que les garanties que les dirigeants de la Bourse de Montréal ont fait miroiter soient vraiment coulées dans le béton, et non dans le Jello. N'en déplaise à Luc Bertrand.