La décision de la Cour suprême du Canada tient en deux petits paragraphes. «Motifs à suivre.» Mais la victoire sans équivoque de BCE en dit tout de même très long. Fini l'imbroglio sur les devoirs des administrateurs d'entreprises inscrites en Bourse.

La décision de la Cour suprême du Canada tient en deux petits paragraphes. «Motifs à suivre.» Mais la victoire sans équivoque de BCE en dit tout de même très long. Fini l'imbroglio sur les devoirs des administrateurs d'entreprises inscrites en Bourse.

Dans cette bataille qui dure depuis un an, il était facile de perdre de vue l'essentiel, à écouter les juristes débattre des subtilités de la jurisprudence, des droits de Revlon à la décision de la Cour suprême dans la faillite des magasins à rayons Peoples.

Mais, à la base, cette cause posait une question toute simple, au-delà de la vente de BCE à un consortium piloté par la caisse de retraite ontarienne Teachers. Lorsqu'une entreprise se vend aux enchères, envers qui ses administrateurs sont-ils redevables?

Dans le droit canadien, les administrateurs servent d'abord «l'entreprise», dont ils doivent assurer la pérennité. Mais les conseils d'administration ont toujours compris que, en cas de vente, cela signifiait de maximiser le fric des actionnaires, sans pour autant bafouer les droits des employés, des fournisseurs, des détenteurs d'obligations, etc. C'est ainsi que BCE a décroché, il y a un an, une offre de 42,75$ par action, un montant qui paraît aujourd'hui inespéré compte tenu de la crise du crédit qui a freiné la vague de fusions et d'acquisitions.

Les conseils peuvent aussi considérer les intérêts des tiers. Mais ils n'en avaient pas l'obligation jusqu'à ce que la Cour d'appel du Québec vienne brouiller les cartes avec son jugement controversé du 21 mai.

Dans ce jugement, la Cour d'appel donnait raison aux détenteurs d'obligations, qui se jugeaient floués par cette acquisition par emprunt. Comme les acquéreurs comptent donner les actifs de Bell Canada en garantie pour leur emprunt de 34 milliards de dollars, les agences de notation vont vraisemblablement abaisser la cote de crédit de la société de télécommunications. Conséquence: les obligations de Bell pourraient perdre jusqu'au cinquième de leur valeur.

Si une entreprise doit considérer les intérêts de tous, comment concilier des causes parfois diamétralement opposées? Ainsi, il semblait difficile de dédommager les obligataires sans piger dans les poches des actionnaires. Or, les actionnaires n'ont pas beaucoup de droits, contrairement aux détenteurs d'obligations, qui sont protégés par des contrats. Ils peuvent empocher des dividendes quand l'entreprise daigne leur en verser. Et ils peuvent passer à la caisse quand la société change de mains.

Voilà pourquoi les juges se sont montrés critiques des avocats des obligataires, des investisseurs aguerris, lors de l'audience de mardi. Pourquoi n'avaient-ils pas négocié une clause de protection, en vertu de laquelle Bell Canada aurait été forcée de conserver une bonne cote de crédit? Ces clauses sont pourtant courantes en affaires.

Les juges de la Cour suprême du Canada n'auront mis que trois jours pour trancher. Mais ce jugement n'arrive pas une minute trop tôt.

Les tribunaux canadiens sont déjà assez engorgés comme ça! Imaginez toutes les réclamations que susciteraient les ventes d'entreprises si tous les tiers avaient des intérêts financiers au-delà de leurs droits contractuels et de leurs attentes légitimes.

Le Canada ne peut tout simplement pas se permettre d'avoir une place d'affaires aux règles imprévisibles.

Ouf! Voilà près d'un an que BCE et Teachers se battent pour boucler cette transaction de 51,7 milliards de dollars avec une détermination qui, dans le cas de Teachers, en mystifie plusieurs. Douze mois qui ont pris les allures des 12 travaux d'Astérix tellement les obstacles semblaient impossibles à surmonter.

D'ailleurs, BCE doit encore mettre la dernière touche au financement avec le syndicat bancaire composé de Citigroup, Deutsche Bank, Royal Bank of Scotland et la Banque Toronto-Dominion. Si le syndicat bancaire a multiplié les démarches pour se sortir de ce contrat aujourd'hui désavantageux, il a fait acte de bonne foi, hier, en affirmant par communiqué qu'il allait «respecter (stand behind) son engagement initial envers la transaction».

BCE espère maintenant conclure la transaction au troisième trimestre, soit avant la fin août. Le mot clé étant que c'est un «objectif» !

Mais aussi pénible que soit la conclusion de cette transaction, ce n'est rien à côté de ce qui attend Teachers et compagnie lorsqu'ils prendront le contrôle de BCE. Le 12e et plus grand défi, il est là.

Les compagnies de téléphone sont en train de perdre la guerre contre les câblodistributeurs, notamment Vidéotron, qui a fait de grandes percées en téléphonie locale. Et on n'a pas tout vu! Attendez que Rogers se mette à vendre des iPhone, pour lesquels il a obtenu les droits exclusifs pour le Canada.

L'entreprise s'est laissée aller à la dérive au cours des deux dernières années, tandis qu'elle tentait de se réincarner en fiducie de revenu puis de se mettre en vente. Les clients sont plus mécontents que jamais. Et avec cette incertitude prolongée, les employés ont le moral dans les talons.

BCE a aussi des choix technologiques cruciaux à faire. Puisque l'Amérique du Nord est en train de larguer la norme de transmission CDMA en sans-fil pour se mettre au diapason du reste du monde, Bell devra invertir massivement pour se convertir au GSM ou pour opter pour une future plateforme qui n'est pas encore au point.

George Cope, le dirigeant qui succédera à Michael Sabia lorsque la transaction sera conclue, aura besoin d'une bonne louchée de la potion magique du druide Panoramix pour relancer BCE.