Stéphane Dion réfléchit à son avenir. La conclusion de cette réflexion est malheureusement inéluctable. Depuis la défaite de mardi soir, il ne s'est trouvé pratiquement aucun député, organisateur ou militant pour affirmer publiquement que M. Dion devrait rester en poste. Ce silence est encore plus impitoyable que les résultats du 14. M. Dion devra quitter la direction du Parti libéral du Canada.

Espérons que malgré la douleur de l'échec, M. Dion choisisse de poursuivre sa carrière politique. Il ne sera pas le premier homme de qualité qui, victime des circonstances, n'a pu mener son parti à la victoire. Il n'y a rien là de déshonorant. Surtout, Stéphane Dion peut encore apporter à sa formation et au Canada une contribution précieuse. Il fait partie de ceux que nous baptisions hier les « bâtisseurs ». Le pays n'en compte pas trop...

Les libéraux commettraient une grave erreur en s'imaginant que l'élection d'un nouveau chef leur permettra, à elle seule, de redevenir le «natural governing party» du Canada. M. Dion n'avait sans doute pas toutes les qualités requises pour être chef, mais il faut aussi reconnaître que le parti dont il a hérité souffre d'un mal profond. En particulier, les libéraux sont divisés depuis plus de deux décennies. Cette division fit s'affronter les camps Chrétien et Turner, Chrétien et Martin, et enfin Rae et Ignatieff. La séparation est également régionale et philosophique. Régionale : Ontario contre Québec. Philosophique : une vision centralisatrice et interventionniste du fédéralisme, ancrée dans un trudeauisme caricatural et dépassé, à laquelle s'oppose une conception plus respectueuse des régionalismes, en particulier du nationalisme québécois.

Jean Chrétien a pu garder le parti raisonnablement uni parce qu'il jouissait d'un talent rare : il gagnait. John Turner, Paul Martin et Stéphane Dion, qui ne disposaient pas du même atout, ont tour à tour succombé.

À compter de maintenant, deux scénarios sont envisageables. Dans le premier, Bob Rae ou Michael Ignatieff succède à Stéphane Dion. L'un et l'autre sont des politiciens de haut calibre. Néanmoins, le malaise risque de subsister. Un camp aura triomphé de l'autre. Temporairement ; la plaie restera ouverte. Il n'est pas certain qu'un tel scénario puisse produire le nouveau souffle, le renouvellement dont le Parti libéral a grand besoin.

Second scénario, que les libéraux devraient prendre le temps d'envisager: l'élection d'un chef qui n'est issu d'aucun des deux camps rivaux et qui, contrairement à M. Dion, jouirait dans le parti d'une crédibilité telle qu'il pourrait transcender le vieux fossé.

Ce chef pourrait amener le Parti libéral à sortir de ses ornières, amener les deux courants à trouver un terrain d'entente dans une vision moderne du fédéralisme, mieux adaptée à ce que le Canada est devenu. Un fédéralisme où l'État est activiste certes, comme le veut la tradition du Parti libéral fédéral, mais dans le respect des champs de compétence des gouvernements provinciaux et des particularités de chaque région.

La démocratie canadienne a besoin d'un Parti libéral en santé. Pas seulement d'une formation politique capable de reprendre le pouvoir. D'un Parti libéral rajeuni qui, comme il l'a fait à plusieurs moments de notre histoire, pourra mener le Canada vers de nouveaux horizons.