François Legault est un politicien dans une classe à part. On ne crée pas de toutes pièces un parti politique pour ensuite gagner deux mandats majoritaires en un peu plus d’une décennie sans avoir un flair politique hors norme. Mais quand il fait une gaffe, elle est spectaculaire.

C’est ce qui fait qu’il vient de connaître la pire semaine de sa carrière politique, une semaine qui va laisser des traces. Parce qu’il y a eu tellement de revirements dans le dossier du troisième lien que la dernière chose à faire était d’en rajouter.

Pour les ministres qui sont allés au bâton pour l’équipe dans ce dossier, les Geneviève Guilbault, Bernard Drainville et Martine Biron, il y a très certainement le sentiment d’avoir été floué par son chef. Et pour ceux qui n’ont jamais été convaincus du projet, les Pierre Fitzgibbon ou Eric Girard, par exemple, c’est comme un mauvais rêve qui n’en finit plus de recommencer.

Tous ceux-là et bien d’autres auront maintenant un peu moins confiance en leur chef. D’autant que M. Legault a choisi de remettre en question l’abandon du troisième lien tout seul, en une nuit qui n’a pas porté conseil.

D’autant que la circonscription de Jean-Talon n’a jamais été une forteresse caquiste et que le départ d’une députée déçue après seulement une année d’un mandat de quatre ans pourrait avoir choqué bien des électeurs. Cette élection partielle n’était donc pas un grand test de la popularité du gouvernement. Et passer de 90 à 89 députés n’a rien de tragique.

La réalité, c’est que M. Legault a donc plutôt mal lu les causes et les conséquences de la défaite dans Jean-Talon. Le troisième lien n’a pas été au cœur de la campagne électorale, il aura à peine été mentionné.

Le sondeur Jean-Marc Léger soulignait d’ailleurs cette semaine que les principales préoccupations des électeurs de Jean-Talon étaient le coût de la vie, la santé et le logement.

En fait, c’est l’ensemble des services publics qui sont visés quand on parle de la santé. Beaucoup de citoyens sont inquiets de la dégradation des services qu’ils attendent de l’État. Toutes les belles promesses d’avoir un médecin de famille pour tous ou de réduire les attentes aux urgences ne se sont tout simplement pas réalisées.

Devant cette dégradation que tout le monde constate, la réponse du gouvernement dans les deux principaux budgets de l’État, soit la santé et l’éducation, est de déposer des projets de loi qui prévoient une grande réforme administrative de ces deux secteurs. Le temps des deux ministres est finalement plus occupé par l’adoption de projets de loi mammouths que par l’amélioration des services aux citoyens.

La détérioration des services s’explique en partie par une dégradation des installations et des infrastructures. On ne compte plus le nombre d’écoles, de CHSLD et d’hôpitaux qui ont besoin de rénovations majeures.

Mais quand on regarde les priorités du gouvernement caquiste, on se rend compte qu’on préfère de beaucoup les nouveaux équipements et les coupes de ruban.

Le gouvernement se vante plus volontiers de la construction de nouvelles écoles – presque exclusivement dans des circonscriptions caquistes, d’ailleurs – que de la rénovation d’écoles qui ne sont plus aux normes. On parle beaucoup des Maisons des aînés – avec des chambres dont le coût peut atteindre 1 million de dollars –, mais on est très en retard sur la rénovation des CHSLD, qui resteront pourtant encore longtemps l’épine dorsale du réseau.

Ce serait pourtant le temps d’avoir un grand programme de rénovation des infrastructures plutôt que de mettre autant d’efforts dans de nouvelles constructions. D’autant que la rénovation est très souvent moins coûteuse et donc plus rentable que de faire du neuf. Mais ça fait de moins belles images qu’une coupe de ruban.

Après cette semaine difficile, pour reprendre l’initiative, le gouvernement va passer au complexe de la Romaine, le tout relié à la « filière batterie » dont le gouvernement a fait sa priorité.

En campagne électorale, l’an dernier, M. Legault avait déjà parlé d’augmenter la production du complexe de la Romaine. Il devrait sans doute y avoir un débat public sur la question, mais pour le premier ministre, la cause est déjà entendue.

« Oui, ça va prendre de l’électricité. Ce n’est pas vrai, ceux qui vous disent qu’on va y arriver juste avec l’éolien et l’efficacité énergétique… Ça va prendre soit des barrages, soit du nucléaire. Nous, notre choix, ce sont les barrages. C’est l’héritage de Robert Bourassa », disait-il en septembre 2022 dans un discours devant l’Union des municipalités du Québec.

Le message de la partielle de Jean-Talon, ce n’était pas d’augmenter les cérémonies de coupe de ruban, ce serait bien plus de prendre un meilleur soin de ce qui existe déjà et qui se détériore sous nos yeux. Mais ce message-là ne semble pas avoir été compris par le premier ministre.