Habitué de marcher sur l’eau, François Legault a tout à coup le bas des pantalons mouillé.

En privant la Coalition avenir Québec (CAQ) de la circonscription de Jean-Talon, les électeurs de la région de Québec ont envoyé un coup de semonce très clair au premier ministre, qui affronte davantage de vents contraires depuis le début de son deuxième mandat.

François Legault avait pourtant sorti l’artillerie lourde pour remporter le scrutin. Lui-même était allé faire du porte-à-porte pour convaincre les électeurs de l’appuyer lors de cette élection, qui avait des allures de test de confiance envers le gouvernement.

Or, la CAQ a échoué au test. Et pas juste un peu.

Le Parti québécois (PQ) a remporté une victoire décisive dans cet ancien château fort libéral qui, même s’il n’a pas la souveraineté dans le sang, s’est laissé convaincre par la stature du candidat péquiste Pascal Paradis et par la performance de son chef Paul St-Pierre Plamondon.

Le PQ a obtenu carrément deux fois plus de votes que la CAQ. Sa victoire est d’autant plus claire qu’on n’avait pas vu un taux de participation aussi élevé pour une élection complémentaire (plus de 55 %) depuis une quinzaine d’années.

Dès le début, ça se présentait mal pour la CAQ.

Si l’élection complémentaire a été déclenchée dans Jean-Talon, c’est parce que la députée caquiste Joëlle Boutin, à qui on n’avait pas offert de poste de ministre, a levé le camp à peine six mois après les élections générales. Mais quand on se fait élire, c’est d’abord et avant tout pour représenter les citoyens. Les abandonner aussi cavalièrement a de quoi les rendre cynique. Au lieu de « voter du bon bord », ils ont jugé qu’ils seraient mieux servis par un député de l’opposition.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

François Legault, premier ministre du Québec

Dès le début de la course, les choses se sont gâtées. Alors que la CAQ tentait de discréditer le candidat du PQ, celui-ci est parvenu à retourner la situation à son avantage. Au cœur du bras de fer, la question suivante : lors des dernières élections, la CAQ savait-elle déjà qu’elle renierait sa promesse phare de construire un troisième lien entre Québec et Lévis ?

Qui dit vrai ? Qui a menti ? Les électeurs de Jean-Talon ont tranché, lundi. De toute façon, une telle volte-face, qu’elle soit préméditée ou pas, laisse toujours un goût amer aux électeurs, qui ont l’impression d’avoir été dupés.

Mais au-delà de la promesse rompue du troisième lien, les résultats de l’élection dans Jean-Talon donnent la mesure du mécontentement des Québécois face à la CAQ, à la grandeur de la province.

Par mégarde, la vice-première ministre Geneviève Guilbault a elle-même fait l’énumération de tout ce qui cloche au Québec, vendredi dernier à l’Assemblée nationale, en marquant dans son propre but.

Impatientée par une question sur le mode de scrutin, une autre promesse rompue de la CAQ, elle a expliqué que ça ne préoccupait pas tellement les citoyens. Que les gens qui appellent leur député le font plutôt pour dire qu’ils n’ont pas de place en garderie, pas de médecin de famille, que leur école fait dur, qu’il y a du « trafic » sur la route et que l’épicerie coûte cher.

À cette liste, on pourrait ajouter que les aînés n’arrivent pas à obtenir une place en CHSLD, que la Direction de la protection de la jeunesse est plus débordée que jamais, que le système de justice est face à un mur… Ah oui, et les ratés dans la transition informatique de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) n’augurent rien de bon pour la transformation qui attend le réseau de la santé.

Toutefois, on ne peut pas dire que le gouvernement est resté sans rien faire face à ces enjeux.

Le hic, c’est que les grandes réformes annoncées en éducation et en santé, si souhaitables soient-elles, donnent quand même l’impression que la CAQ brasse les structures au lieu d’offrir des réponses concrètes aux besoins de tous les jours.

Aussi, la CAQ a été fort généreuse envers les contribuables, par rapport aux autres provinces, en postant trois séries de chèques pandémiques, qui se sont additionnés aux baisses d’impôt, aux réductions de taxes scolaires et aux bonifications de soutien aux enfants et aux aînés.

Sauf que les contribuables perdent de vue ce coup de main quand ils voient les prix de la nourriture… et du logement, une crise majeure dont la CAQ n’a pas semblé mesurer l’ampleur jusqu’à tout récemment.

L’élection complémentaire est un rappel à l’ordre que la CAQ doit prendre au sérieux, même si la perte est moins cuisante puisqu’il ne s’agissait pas d’un château fort caquiste – et même si la CAQ peut se consoler puisqu’elle garde 89 élus, soit 71 % de la députation.

Bref, la CAQ patauge, mais elle est loin de couler.

Mais l’examen de conscience promis par le premier ministre doit passer par davantage de transparence à propos du troisième lien et par un meilleur accès aux services pour les citoyens.

La position de La Presse

Les électeurs de Jean-Talon ont envoyé un message de mécontentement au gouvernement qui va bien au-delà de leur circonscription. Retrouver la confiance des Québécois passera par davantage de transparence sur l’épisode du troisième lien, mais aussi par un meilleur accès à des services publics de qualité.