Depuis qu'il fait du cinéma, Laurent Cantet aborde dans ses films des questions culturelles et sociales. Avec L'atelier, il fait directement écho aux préoccupations liées à la question identitaire et à la radicalisation de certains jeunes compatriotes. Entourée d'acteurs non professionnels, Marina Foïs relève ici l'un des défis les plus stimulants de sa carrière.

Sur papier, on pourrait presque voir en L'atelier une suite, dix ans plus tard, d'Entre les murs, le film qui a valu à Laurent Cantet la Palme d'or du Festival de Cannes. Peut-être pourrait-on même y apprendre ce que sont devenus ces écoliers, maintenant à l'orée de l'âge adulte.

«Oui, peut-être, a répondu le cinéaste lors d'une interview accordée à La Presse lors des Rendez-vous du cinéma français, tenus à Paris au tout début de l'année. Mais la forme est plus romanesque. Nous avons voulu décrire la complexité des rapports qu'entretiennent les jeunes dans un monde qui ne leur laisse pas beaucoup de place. Les personnages étant plus vieux, ça ouvre aussi des perspectives supplémentaires. À vrai dire, j'ai plus souvent pensé à L'emploi du temps. Là aussi, l'histoire était construite autour d'un personnage qui se cherche, qui est dans une espèce d'errance.»

Une idée qui remonte à loin

L'idée de L'atelier a commencé à germer il y a une vingtaine d'années dans l'esprit du cinéaste et de son coscénariste Robin Campillo (aussi réalisateur de 120 battements par minute). Un atelier d'écriture avait en effet été organisé à l'époque à La Ciotat, petite ville maritime non loin de Marseille, reconnue jusque dans les années 80 pour ses installations portuaires et ses chantiers navals. Depuis la fermeture de ces industries, la population est aux prises avec de graves difficultés économiques.

«À l'époque, l'atelier avait été organisé pour faire le lien avec une espèce de période de gloire de la ville et pour retrouver une fierté ouvrière disparue quand les chantiers ont fermé, explique le cinéaste. Depuis, la cité a basculé du communisme à une idéologie de droite. Le Front national y a des appuis importants.

«Le film que nous proposons aujourd'hui est forcément très différent de celui que nous aurions pu faire il y a 20 ans, car la réalité sociale est tout autre.»

Le scénario, dont l'écriture a commencé au lendemain des attentats du Charlie Hebdo, est construit autour d'un atelier d'écriture organisé à La Ciotat, auquel participent un groupe de jeunes avec une célèbre romancière (Marina Foïs). L'un des participants, Antoine (Matthieu Lucci), s'oppose vite au groupe, estimant inutile et inintéressant d'évoquer dans un roman le passé nostalgique de l'endroit. De l'avis du jeune homme, dont on devine la violence intérieure et le radicalisme latent, mieux vaut parler du monde actuel, de l'exclusion qui en découle et de l'anxiété qu'il engendre.

«Quand une crise devient trop grave, un réflexe de repli sur soi s'exerce presque naturellement, analyse Laurent Cantet. L'extrême droite devient même séduisante pour certains. Dans l'esprit de beaucoup de gens, il faut que quelque chose se passe, n'importe quoi. D'ailleurs, le film renvoie un peu dos à dos les djihadistes et les extrémistes, avec le discours populiste qui en découle. Nous avons voulu évoquer cette parole sans jugement ni morale. 

«Nous voulions aussi, poursuit-il, voir comment la confrontation d'idées peut mener à de vrais changements et à un vrai dialogue, à une époque où les positions sont tellement radicales qu'on croit toute discussion impossible. Ce n'est pas parce que c'est difficile qu'il ne faut pas essayer. C'est le pari que tentent de relever tous ceux qui travaillent dans le domaine social et culturel. Le personnage qu'incarne Marina marche constamment sur des oeufs, mais elle a cette volonté de s'y confronter, quitte à le faire maladroitement.»



Photo fournie par MK2 | Mile End

Marina Foïs et le groupe d'étudiants de L'atelier, un film de Laurent Cantet.

Ouvrir le dialogue

De son côté, Marina Foïs n'aurait pu rêver plus belle expérience. Même si elle fait partie des admiratrices de Laurent Cantet depuis longtemps, l'actrice, aussi à son aise dans la comédie (RRRrrrr!!!) que dans le drame (Polisse), n'avait jamais osé se projeter dans le cinéma du réalisateur de Ressources humaines

«Je suis cinéphile, mais il n'y a quand même pas beaucoup de metteurs en scène dont j'ai vu tous les films, confie-t-elle à La Presse. Laurent en fait partie. Son cinéma m'intéresse et me touche. J'aime aussi sa façon de dépouiller les acteurs de tout ce qui peut ressembler à du savoir-faire. Ses films ne sont ni didactiques ni autoritaires, et ils nous bousculent avec délicatesse, sans prêt-à-penser.»

L'actrice reconnaît la tension sociale qui a cours dans la société française et estime d'autant plus pertinente la production de films comme L'atelier, qui peuvent confronter le public à des questions qui méritent réflexion. Et du même coup ouvrir un dialogue.

«J'y crois profondément, dit-elle. On se dégénère quand on se colle seulement sur les nôtres. La nature ne nous envoie-t-elle pas le signal en programmant des problèmes génétiques quand des gens d'une même famille se reproduisent entre eux? Il faut être bien peu certain de ce qu'on est pour avoir si peur de tout ce qui est différent. Aussi, je comprends mal ce mépris pour la jeunesse, à qui l'on n'arrête pas de dire à quel point le monde est pourri. C'est d'une violence folle. Il y a comme un truc absurde là-dedans. La transmission se fait au mauvais endroit parce qu'on a trop peur. Les adultes manquent aussi d'humilité, parfois. Pourquoi veut-on à tout prix d'une jeunesse à notre image?»

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L'atelier prendra l'affiche le 13 avril. 

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.

Photo fournie par MK2 | Mile End

Laurent Cantet, réalisateur de L'atelier.