Lancé l'an dernier au Festival des films du monde (FFM), où Malin Buska a obtenu un prix d'interprétation, le plus récent film de Mika Kaurismäki, The Girl King, s'apprête enfin à prendre l'affiche au Québec. Le dramaturge Michel Marc Bouchard, auteur du scénario, relate son expérience.

Un an après avoir vu la version définitive du film, quel souvenir en gardez-vous?

Il y a toujours une zone étrange entre ce que l'on a imaginé et ce que l'on voit sur l'écran. Mais j'ai été ravi de découvrir le film au FFM l'an dernier parce que ça me réconciliait avec l'expérience plutôt ardue que nous avions vécue. Il est très difficile d'écrire un film duquel s'emparera ensuite un réalisateur. Comme The Girl King est quand même une assez grosse production, beaucoup de gens provenant de cultures différentes étaient impliqués. Il y avait des producteurs finlandais, suédois, allemands et canadiens. Et leur vision du film n'était pas toujours la même. Il fallait trouver un point de convergence, harmoniser le point de vue que Mika Kaurismäki avait sur le personnage avec le mien.

Y avait-il de grandes différences entre vos visions respectives?

Disons que l'approche de Mika était plus conservatrice que la mienne. Il tenait à ce que le film atteigne un niveau populaire et que le spectateur se prenne d'affection pour Kristina. Et puis, le travail à distance et la langue faisaient en sorte que, de mon côté, je voyais un film beaucoup plus noir, beaucoup plus austère, beaucoup plus luthérien. Mika était amoureux du personnage comme un père. Moi, davantage comme un alter ego. On en a gardé l'ADN quand même. Et c'est vrai qu'il y a eu une vraie chimie entre Malin Buska et Mika. Malgré un budget relativement modeste pour ce genre de production, des choses magnifiques ont été faites.

On vous a approché dès 2008 pour écrire le scénario de ce film et vous avez écrit parallèlement la pièce Christine, la reine-garçon...

Un an après le début de l'écriture, j'étais un peu en panne. Je voulais poursuivre cette aventure, en passant par ce que je sais faire de mieux: écrire une pièce. Kristina est un personnage extrêmement lyrique. Elle utilisait un langage très fleuri. On a d'ailleurs publié environ 500 de ses maximes, écrites en français, la langue de la cour de Suède à l'époque. Or, cette dimension, très poétique, est plus difficilement traduisible au cinéma et se perdait dans le scénario. C'est comme si la pièce devenait la chambre secrète du script. Il s'est établi un dialogue rare entre le film et la pièce. Ce sont finalement deux oeuvres différentes qui se sont mises à vivre parallèlement, et qui se répondaient aussi parfois. Certaines scènes de la pièce ont nourri le scénario du film et vice versa.

Avec Xavier Dolan, vous avez coécrit le scénario de Tom à la ferme, à partir de votre propre pièce. Était-ce comparable?

Avec Xavier, l'expérience a été totalement différente. Tout s'est fait très rapidement, en étroite collaboration. Nous étions mus par une même synergie. Il y avait là une vraie chimie entre un scénariste et un réalisateur. Cela dit, il n'y a pas eu de conflit avec Mika Kaurismäki, mais le fait est qu'au cinéma, le réalisateur est maître à bord, ce qui est normal, et le scénariste est rarement mis à contribution. Au cinéma, il n'y a qu'une seule version qui existe, contrairement au théâtre, où ta pièce peut être montée plusieurs fois, de façons différentes. C'est probablement pour ça que l'abandon est plus difficile.

Est-ce à dire qu'à part les adaptations de vos pièces déjà existantes, l'idée d'écrire un scénario original pour le cinéma vous est désormais moins tentante?

Je me questionne encore sur la position du scénariste, car nous sommes vraiment dans une culture de cinéma d'auteur. Ce qui fait que j'ai beau imaginer mon propre film, il ne lui ressemblera pas si je ne le tourne pas moi-même. J'ai d'ailleurs toujours dit qu'à moins de trouver une collaboration exceptionnelle avec un cinéaste, comme ce fut le cas avec Xavier, un scénariste est en relation avec le deuil. J'ai parfois le fantasme de la réalisation, mais de là à le concrétiser, je ne suis pas certain. Je sais que le financement d'un film, c'est long, c'est difficile. Je ne suis pas sûr d'avoir la patience. Déjà que je ratisse large!

Avez-vous une idée du genre de carrière que The Girl King a connue depuis sa présentation au FFM l'an dernier?

Je sais qu'il est déjà sorti dans plusieurs pays, dont les pays scandinaves. L'accueil a été parfois dithyrambique, parfois catastrophique. Il a obtenu un beau succès en Finlande, où il a été tourné. En revanche, ça s'est moins bien passé en Suède, je crois. Des Finlandais qui touchent à un sujet suédois, ça passe plus mal là-bas.

Avez-vous d'autres projets de cinéma?

Oui, mais ce projet est encore très embryonnaire. Il s'agit d'une adaptation d'une partie de La divine illusion. Je m'étais dit: «Fontaine je ne boirai plus de ton eau», mais le projet m'intéresse. Et l'angle qu'on veut lui donner me motive. Je ne peux malheureusement pas encore révéler les noms des gens qui sont impliqués dans ce projet.

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The Girl King (La reine-garçon en version française) prendra l'affiche le 2 septembre. Visionnez la bande-annonce en français: https://www.youtube.com/watch?v=vVUq5uvPCjU

En dates

2008: Première rencontre, à Berlin, de Mika Kaurismäki et Michel Marc Bouchard. À l'époque, le dramaturge ne sait encore rien de l'histoire de la reine Christine.

2009: Après des mois de recherche, Michel Marc Bouchard écrit une première version du scénario. Il décide d'écrire parallèlement une pièce.

2012: Création de Christine, la reine-garçon au Théâtre du Nouveau Monde. Céline Bonnier incarne la souveraine.

2015: Première mondiale de The Girl King au Festival des films du monde de Montréal. En plus d'un prix d'interprétation (Malin Buska), le film de Mika Kaurismäki obtient le prix du long métrage canadien le plus populaire.