Les grands défis n'ont jamais fait peur au réalisateur du Nom de la rose et de Sept ans au Tibet. Le dernier en lice: l'adaptation d'un roman chinois dans les lieux mêmes où se déroule l'intrigue. En mandarin et en mongol, bien sûr.

Il y avait quand même un petit moment que nous avions eu de ses nouvelles. Même si les plus récents films de Jean-Jacques Annaud affichaient la même ambition que ceux avec lesquels le cinéaste a établi sa réputation, on les a peu (ou pas) vus de notre côté de la rive.

Le vétéran cinéaste, lauréat de l'Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1977 grâce à La victoire en chantant (rebaptisé Noirs et Blancs en couleur), était de passage au Festival des films du monde la semaine dernière. Il accompagnait la présentation de Wolf Totem (Le dernier loup), une production sino-française d'envergure, tournée en Chine, vue par 27 millions de spectateurs lors de sa sortie dans les salles de cinéma de l'empire du Milieu.

Il ne pensait pourtant pas avoir un jour l'occasion d'aller tourner dans les steppes mongoles, encore moins d'être à la barre d'un film produit majoritairement par les Chinois.

«À mon grand regret, Sept ans au Tibet a beaucoup déplu là-bas, rappelle le cinéaste. Je n'aurais jamais pu deviner que leur sensibilité serait heurtée à ce point. Quand la délégation chinoise est débarquée dans mon bureau à Paris pour me proposer ce nouveau projet, je leur ai dit que je n'étais peut-être pas tout à fait l'homme de la situation. Ils m'ont répondu que la Chine avait changé. Et qu'ils étaient maintenant très pragmatiques. "On a besoin de vous!", m'ont-ils dit.»

Une idée séduisante

Pour un cinéaste qui a déjà réalisé L'ours et Deux frères, deux longs métrages dont les vedettes étaient des animaux, l'idée de porter à l'écran le livre de Jiang Rong Le totem du loup était évidemment très séduisante. D'autant plus que son attention avait déjà été attirée vers le bouquin grâce à un article publié dans un journal français.

«Tout était étonnant dans ce papier, explique Jean-Jacques Annaud. On disait qu'il s'agissait d'une lettre d'amour à la Mongolie et que trois miracles s'étaient produits pour lui permettre son existence. Il y avait d'abord le fait que ce livre dénonciateur de la destruction de la steppe mongole ait été écrit par un auteur chinois. Ensuite, qu'il ait été publié. Et enfin, qu'il ait été lu par 20 millions de lecteurs en Chine!»

En compagnie de l'auteur, le cinéaste est allé visiter les lieux mêmes où s'est déroulée l'histoire du récit autobiographique. Les deux hommes ont alors découvert qu'ils partageaient plusieurs affinités, notamment celle d'être entrés dans un monde complètement différent du leur, sensiblement à la même époque.

«En 1967, Jiang a été envoyé en Mongolie pour apprendre le mandarin aux habitants des steppes mongoles. Moi, je suis allé au Cameroun pour donner des cours de cinéma. Nous sommes tous les deux tombés amoureux à vie de l'endroit où nous sommes arrivés.»

Pas étonnant que le cinéaste ait été séduit par le récit d'un homme qui, en arrivant dans cet endroit reculé, découvre la relation particulière qu'entretiennent les habitants avec les loups. Pour donner à son film des accents de vérité, Jean-Jacques Annaud a d'ailleurs tenu à tourner avec de vrais animaux. Ainsi, 200 chevaux, près de 1000 moutons, 25 loups et une cinquantaine de dresseurs se sont retrouvés sur son plateau.

«J'utilise beaucoup d'effets numériques, mais pas de la même façon qu'on le fait dans les films hollywoodiens, explique-t-il. En fait, j'efface avec des effets tout ce qui ne me plaît pas à l'image, la présence des dresseurs en l'occurrence. Les yeux des loups sont si expressifs qu'ils racontent des choses que je n'aurais jamais pu obtenir avec des loups artificiels. Je suis fasciné par les nouvelles techniques, mais à mes yeux, elles doivent être un outil qui sert à mieux raconter une histoire. Sinon, ça ne devient que de l'agitation, que du bruit.»

Le défi du projet «impossible»

Les tournages ambitieux ne lui font pas peur, au contraire. De La guerre du feu à Stalingrad, en passant par Le nom de la rose, L'ours et L'amant, Jean-Jacques Annaud a toujours pris un malin plaisir à attaquer de front des projets «impossibles».

«J'adore les tournages compliqués, dit le cinéaste, aujourd'hui âgé de 72 ans. Je ressens alors un peu le plaisir du sportif qui entreprend l'escalade d'une montagne par la face la plus difficile. C'est l'idée du surpassement, sans doute. Aussi, j'ai beaucoup de respect pour ce qui a déjà été fait au cinéma depuis 120 ans. On doit aujourd'hui se donner un petit peu plus de mal pour continuer à étonner, émerveiller, enchanter, émouvoir. Il n'est pas suffisant de rester dans les formats plus restreints de la télé. À mon sens, le cinéma est là pour accueillir des oeuvres plus larges. Je préfère présenter au public des films qui ont requis des années de travail plutôt que des trucs interchangeables qui se fondent dans la masse.»

Le dernier loup prend l'affiche le 11 septembre en version française et en version originale (mandarin et mongol) avec sous-titres anglais (Wolf Totem).

Cinq films marquants de Jean-Jacques Annaud

La victoire en chantant (1976)

Ce premier long métrage, dont l'intrigue est campée dans l'Afrique coloniale, vaut à Jean-Jacques Annaud l'Oscar du meilleur film en langue étrangère.

La guerre du feu (1981)

La grève des acteurs américains fait en sorte que ce film audacieux, qui fait écho à la préhistoire, se transforme en coproduction franco-canadienne. Le producteur québécois Denis Héroux était en outre impliqué dans ce projet.

Le nom de la rose (1986)

Sean Connery et F. Murray Abraham sont les têtes d'affiche de cette adaptation du célèbre roman d'Umberto Eco.

L'amant (1992)

Il n'y a ici ni animaux, ni préhistoire, ni Moyen Âge. Mais il y a les mots de Marguerite Duras. Et une histoire «scandaleuse» campée dans l'Indochine.

Sept ans au Tibet (1997)

L'histoire de Henrich Harrer, un alpiniste autrichien qui se lie d'amitié avec le jeune dalaï-lama à la fin de l'été 1939, soulève l'ire des Chinois. Même Brad Pitt n'y peut rien