Louane Emera: prononcez ce nom en France et la plupart des gens sauront de qui il s'agit. De qui au juste? D'une jeune fille de 18 ans, du nord de la France, qui rêve d'être chanteuse depuis l'âge de 8 ans.

À 12 ans, elle a participé à l'École des stars et, quatre ans plus tard, en 2013, elle était demi-finaliste à The Voice, version made in France.

Louane, de son vrai nom Anne Peichert, aurait pu s'en tenir à cette petite victoire et, une fois son tour de piste terminé, retourner vivre avec son frère et ses quatre soeurs dans son Hénin-Beaumont natal, un château fort du Front national, et devenir traductrice ou fromagère.

Mais voilà, au moment où la lumière de TF1 brillait encore sur sa jolie tête blonde, le réalisateur Éric Lartigaud cherchait une chanteuse pour jouer dans son nouveau film, La famille Bélier. Il en avait déjà vu plus d'une soixantaine en audition et aucune ne faisait l'affaire. Quelqu'un lui a parlé de la petite Louane. Il l'a regardée à la télé et il a immédiatement craqué.

Quelques mois plus tard, la fille qui voulait chanter pour vivre devenait Paula Bélier, une fille qui veut vivre sa vie et s'émanciper d'une famille de fermiers plutôt sympas qui n'ont qu'un défaut: ils sont tous sourds (le père, la mère et le petit frère).

Le film inspiré d'une histoire vraie, racontée par Véronique Poulain dans Les mots qu'on ne me dit pas et scénarisée par Victoria Bedos, la fille de Guy Bedos, est sorti en France à Noël, et comme tous les feel good movies qui tablent sur la recette des handicaps et des bons sentiments, il a connu un succès aussi foudroyant qu'instantané: plus de 7 millions d'entrées en quelques semaines.

En février, La famille Bélier s'est retrouvé en nomination pour le César du meilleur film, qu'il n'a pas gagné. En revanche, Louane a été couronnée du César du meilleur espoir féminin, un exploit pour une fille qui n'avait jamais fait de film de sa vie.

La blonde enfant était de passage lundi à Montréal pour la première québécoise de La famille Bélier. Notre premier contact n'a pas été des meilleurs. Elle m'a tendu une main molle sans me regarder dans les yeux, croyant peut-être que j'étais la femme de chambre de la suite où nous devions faire l'entrevue.

Puis, au beau milieu de l'entrevue, son agent est intervenu un peu trop abruptement en m'interdisant de lui poser des questions sur sa vie privée et, surtout, sur la mort de ses parents, sujet délicat s'il en est un.

Alors que sa carrière de chanteuse démarrait, Louane a perdu son père, puis un an et demi plus tard, sa mère. Par une triste ironie, La famille Bélier parle d'une fille qui veut quitter ses parents et voler de ses propres ailes alors que dans la vraie vie, ce sont les parents de Louane qui l'ont quittée.

Mais le sujet est encore très douloureux pour la chanteuse. C'est pourquoi même si j'ai combattu une envie furieuse d'envoyer promener l'agent et de sacrer mon camp, j'ai tenu bon. Louane aussi, qui a concédé qu'elle était en fin de compte très différente de son personnage, notamment parce qu'elle sait depuis longtemps qu'elle veut être chanteuse.

«Je n'ai jamais cessé d'y croire. Mais quand c'était difficile, il était hors de question que j'abandonne. Ma mère m'a toujours dit de me battre jusqu'au bout, quoi qu'il arrive. Et ce qui est arrivé est mieux que je l'espérais. Parce que j'ai le sentiment de faire plaisir aux gens et de leur redonner le sourire, et ça, ça vaut vraiment la peine. Ça me détend. Le fait que les gens réagissent au film, que ça soit en bien ou en mal, je trouve ça cool et ça me détend.»

J'avoue que je ne comprends pas trop le concept de détente évoqué par Louane, mais peu importe. Louane semble foncièrement heureuse de ce qui lui arrive et qui tient un peu du miracle, surtout quand on sait que les deux grands gagnants de The Voice 2012 et 2013 sont depuis tombés dans l'oubli.

Louane, pendant ce temps-là, cartonne au cinéma, mais aussi avec son premier album Chambre 12, sorti en mars et immédiatement certifié platine avec des ventes de 100 000 exemplaires.

Un spectacle de tournée est en train d'être mis sur pied, ce qui l'enchante et l'angoisse aussi un peu. Car cette fois, elle va se retrouver seule sur scène et pas seulement pour dix minutes comme dans la tournée de The Voice.

«Je vais travailler très fort pour me préparer, et même si je sais que ça ne sera pas facile, même si j'ai un peu peur, même si je sais que ce métier est peut-être le métier le plus éphémère de la terre, c'est le métier que je veux faire.»

Je lui ai demandé ce qu'il y avait dans son iPod. Elle ne le savait pas de mémoire. Elle a pris son portable et a fait défiler les noms: Taylor Swift, Stevie Wonder, Stromae, Gainsbourg, Renaud, les Rolling Stones, Sinatra, Muse, Megan Traynor. Ne manquait que Michel Sardou dont elle chante les chansons dans La famille Bélier, sauf que dans la vraie vie, Louane n'écoute pas Michel Sardou.

En revanche, quand je lui ai montré les paroles imprimées de La complainte du phoque en Alaska, en lui demandant si elle connaissait cette chanson de Beau Dommage, un déclic s'est produit. Elle m'a presque arraché la feuille des mains.

Les souvenirs de son père et de ses cahiers de chansons sont remontés à la surface. Subitement, la chanteuse sur le pilote automatique a cédé le pas à une jeune femme au regard allumé, totalement prise par l'émotion du moment et par la nostalgie de son père.

Je l'ai quittée alors qu'elle écoutait dans un silence recueilli la chanson sur YouTube. Et j'ai compris que si Paula Bélier a quitté ses parents, Louane, elle, vivra avec le souvenir des siens encore longtemps.