Jake Gyllenhaal est un caméléon, mais pas de la même espèce que Johnny Depp. Si ce dernier mise beaucoup sur les costumes, les maquillages et les accessoires, le premier joue d'efficacité et de subtilité en se transformant de l'intérieur. En général. Il y a eu - et il y aura - des exceptions.

C'est le cas dans Nightcrawler de Dan Gilroy: les yeux de l'acteur semblent manger son visage émacié où saillent les pommettes et la mâchoire. Dérangeant? Oui. C'était le but.

Parce que le personnage qu'il incarne dans ce thriller très sombre - qui peut aussi être vu comme une satire subversive sur les médias, l'information télévisée telle qu'elle se fait aujourd'hui - l'est. Dérangeant.

Il s'appelle Lou. Un loser de prime abord. Jusqu'à ce qu'il trouve sa voie et sa voix. Par accident. De nuit. Dans les rues de Los Angeles. Alors qu'en pleine errance il croise un de ces nightcrawlers, ces cameramen indépendants qui se ruent sur les lieux des crimes et des accidents afin d'en rapporter des images exclusives aux chaînes locales.

Pour Lou, c'est une révélation. Il sait comment il gagnera désormais sa vie.

«Lou est un animal sauvage. C'est ainsi que je le voyais. Dan aussi. Nous nous sommes entendus sur le coyote. Il y en a beaucoup, la nuit, dans certains secteurs de Los Angeles. Ils sont maigres, affamés, prêts à tout pour un morceau de viande. Ils vous regardent, sans peur, avec ces yeux qui semblent dire: «Si tu fais pas gaffe, je te bouffe.» J'ai cherché à avoir cette allure affamée», expliquait l'acteur lors d'une entrevue accordée à La Presse pendant le Festival du film de Toronto.

Et ce n'était pas qu'un air qu'il se donnait. Il a eu faim et il a maigri pendant les deux mois précédant le tournage et les six semaines passées devant la caméra. Perdant en tout 14 kg, lui qui en pesait 82. «C'était le seul moyen, cette fois, de m'investir complètement dans le personnage. La préparation mentale ne suffisait pas.»

Il a donc vécu avec et en Lou pendant toute la durée du tournage, qui se faisait de nuit. «Jake parlait peu entre les prises, il restait dans son personnage. Le voir aller, c'était presque comme assister à un accouchement», a expliqué Rene Russo, qui s'est elle aussi entretenue avec La Presse.

De cris et de sang

Dans le film écrit et réalisé par son mari, celle qui demeure spectaculaire à 60 ans incarne Nina Romina, productrice des bulletins de nuit dans une station en train de perdre la guerre des cotes d'écoute. Une dame de fer qui redoute de perdre son pouvoir et qui résumera ainsi ce qu'elle attend de Lou: «Pense à notre bulletin d'information comme à une femme qui court dans la rue, hurlant, la gorge tranchée.»

Lou va tout faire pour lui rapporter des images de cette «femme». Tout. Recevant de plus en plus d'argent alors que ses reportages, visuellement de plus en plus explicites, gagnent en popularité. «C'est ce qui est le plus terrifiant en lui et dans la situation que l'on présente: nous sommes tous complices, nous contribuons tous à créer Lou. Et au bout du compte, il est récompensé pour ce qu'il fait.»

Nightcrawler est donc «une histoire de succès à l'américaine, mais avec une touche drôlement tordue». Ce qui a plu à Jake Gyllenhaal dès la lecture du scénario. Signé Dan Gilroy (The Fall, The Bourne Legacy), qui ferait ici ses premiers pas derrière la caméra. Mais Jake Gyllenhaal n'a jamais eu l'impression de côtoyer un réalisateur débutant. «Il a passé tellement de temps sur les plateaux! Et quand Lou dit: «J'apprends vite», à mon avis, c'est aussi Dan qui parle.»

Reste que Lou est, lui aussi, extrêmement intelligent. «Il est comme une machine qui accumule les données très rapidement et qui lit le comportement humain comme si c'était une équation mathématique. Ses propos sont saupoudrés de faits, de statistiques, de conseils utiles en affaires, de trucs pour s'aider soi-même. Il a trouvé tout ça dans l'internet, l'a mémorisé. Et l'applique sans nuance», poursuit l'acteur qui agit aussi ici à titre de producteur.

Il avait fait la même chose pour End of Watch de David Ayer (Fury). Il dit avoir beaucoup appris de l'expérience. Et apprécier le fait d'ainsi «avoir l'esprit constamment occupé, de voir au casting, d'apporter de l'eau au moulin, de penser au but ultime, à ce qui va donner un meilleur film - et pas seulement du point de vue de l'acteur».

Acteur qui est ici de toutes les scènes et dont le travail, le jeu, en hantera plus d'un. Nightcrawler, qui prend l'affiche pour l'Halloween, est une manière de film d'horreur. Où l'on ne juge pas. Et où les monstres sont humains. Ne sont-ce pas les pires?

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Nightcrawler (Le rôdeur) prend l'affiche le 31 octobre