Éloignée des plateaux de cinéma à cause d'une entente contractuelle dans laquelle elle s'est retrouvée coincée, la réalisatrice canadienne Patricia Rozema reprend sa carrière en main avec Kit Kittredge: An American Girl, son premier film depuis Mansfield Park, sorti il y a neuf ans...

Il y a 20 ans, Patricia Rozema était l'emblème, avec Atom Egoyan, du mouvement de fond qui a alors secoué le cinéma canadien anglais. I've Heard the Mermaids Singing ou White Room procédaient d'une démarche artistique originale, annonciatrice d'une vision singulière, et parfaitement novatrice dans le contexte outre-Outaouais. When Night is Falling, une histoire d'amour conjuguée au féminin (avec, notamment, Pascale Bussières), a aussi marqué les esprits. Et a valu à la réalisatrice l'attention des bonzes de Miramax.

Pour le compte du studio, alors géré par les frères Weinstein, l'auteure cinéaste est partie tourner en Angleterre un «film à costumes», adapté d'un roman de Jane Austen. Depuis Mansfield Park, qui avait ouvert le Festival des films du Monde en 1999, le nom de Patricia Rozema restait pourtant absent des grands écrans.

«J'étais liée par contrat avec Miramax pour deux autres films mais je suis plutôt tombée dans un trou noir!» expliquait Patricia Rozema cette semaine, au cours d'une entrevue accordée à La Presse à la faveur d'un passage-éclair à Montréal.

«D'un côté, on me faisait parvenir des scénarios complètement ridicules, et de l'autre, on refusait tout ce que je proposais. J'ai ainsi été bloquée pendant quatre ou cinq ans, sans pouvoir travailler ailleurs. En fait, j'ai signé avec une compagnie remarquable, mais à un mauvais moment!»

Rozema était en effet sous l'égide de Miramax - que ne dirigent plus les Weinstein - au moment où l'entreprise était en pleine mutation. «Plutôt que d'accepter de faire n'importe quoi, j'ai préféré me retirer et écrire. Cette retraite a été très positive cela dit. J'ai pu être présente à la maison et prendre bien soin de mes enfants!»

Un film familial

C'est d'ailleurs par la filière du film familial que Patricia Rozema effectue son grand retour. Kit Kittredge: An American Girl, dont la vedette est la petite Abigail Breslin (Little Miss Sunshine), est en effet l'adaptation cinématographique d'une série de bouquins pour enfants très populaires aux États-Unis. Quelque 123 millions de livres de la série «American Girl» se sont écoulés depuis le lancement. Les fillettes se sont appropriées pas moins de 14 millions de poupées à l'effigie des héroïnes. Et le tirage d'un magazine spécialement destiné aux admiratrices de la série se situe autour de 620 000...

Rozema reconnaît que ce phénomène se limite essentiellement aux frontières américaines. «Même si je vis à Toronto, j'en avais toutefois aussi entendu parler grâce à ma fille, qui fait précisément partie du groupe d'âge visé par ces livres et ces poupées.»

Au-delà de la volonté de réaliser un film que sa fille pourrait apprécier, l'auteure cinéaste affirme avoir été essentiellement attirée par le projet à cause de ses préoccupations sociales et historiques.

«C'est ce qui différencie un personnage d'«American Girl» de la poupée Barbie, indique-t-elle. Ces héroïnes ne sont pas insignifiantes. Elles sont même plongées dans un vrai contexte social et historique. J'ai d'ailleurs insisté sur ces aspects dans le film. L'idée me plaisait de m'attarder au destin d'une fillette qui veut devenir journaliste, qui veut que les choses bougent, et qui est dotée d'une vraie conscience sociale!»

Les jeunes spectatrices du film seront ainsi amenées à tracer des liens avec l'histoire, le récit étant campé à l'époque de la Grande Dépression. La petite Kit Kittredge est en effet confrontée aux difficultés auxquelles sa société doit faire face, notamment en regard des laissés-pour-compte du système. Et des préjudices qui en découlent. La problématique se fait encore plus sensible le jour où le propre père de Kit (Chris O'Donnell) est obligé de quitter la maison familiale - qu'il risque de perdre - pour aller chercher du travail ailleurs.

«J'estime qu'on peut aborder de véritables problématiques dans un film destiné à un plus jeune public, observe Patricia Rozema. Les enfants ressentent exactement les mêmes choses que nous. Traiter différemment un film qui leur est plus directement destiné serait faire preuve de condescendance.»

La tête froide

La critique américaine ne tarit d'ailleurs pas d'éloges depuis la sortie du film. La réalisatrice garde toutefois la tête bien froide à cet égard. «Je sais qu'à cause de la nature de ce film, et de la machine qui le soutient, je ne connaîtrai probablement jamais plus un succès comparable dans ma carrière. Je sais aussi que les critiques ont parfois tendance à ne pas s'attendre à ce que nos critères artistiques soient aussi élevés quand il s'agit d'un film destiné au jeune public!»

Peu importe le sort de Kit Kittredge: An American Girl, Patricia Rozema déclinera une éventuelle invitation à réaliser un autre chapitre de la série. «Je suis déjà très fière de ce film. Qui, à mes yeux, est aussi personnel, sinon plus, que mes films précédents. Cela dit, je ne suis pas spécialisée dans les films pour enfants, et je n'ai pas tendance non plus à refaire les mêmes choses. Je ne sais pas encore ce qui m'attend, ni quel sera mon prochain projet. Tout ce que je sais, c'est que je suis présentement animée d'un sentiment d'urgence, tant sur le plan de l'écriture que sur celui de la réalisation.»

Kit Kittredge: An American Girl prend l'affiche le 4 juillet en anglais seulement.