Ils ont encore, pour la plupart, l'innocence de l'enfance et de l'adolescence dans le regard. Les apparences sont trompeuses. Les jeunes du documentaire Hommes à louer possèdent au compteur des expériences de vie qui dépassent l'entendement. Des années à vendre son corps, dans les rues et chambres miteuses de Montréal, à se défoncer au crack, ça fait vieillir prématurément. Et voir la vie avec des lunettes pas très roses....

Le réalisateur Rodrigue Jean a suivi le parcours d'une douzaine de jeunes prostitués qui livrent devant sa caméra, à visière levée, des témoignages troublants sur leur métier, leurs clients, leur consommation de drogue, leur mal de vivre, leur espoir de s'en sortir et de recommencer une nouvelle vie.

Pour son documentaire produit par l'ONF (à l'affiche au Cartier), le réalisateur des longs métrages Lost Song et Yellowknife avait vu grand. À partir de centaines d'heures d'enregistrement, Jean a accouché d'une première version de huit heures, avant de se résoudre à livrer un film d'une durée de 2 h 23. «Le montage a été un enfer... Le sujet aurait pu faire une série télé de 10 heures», con-fie-t-il, déçu.

Un an et demi

«Ces jeunes sont habitués à ne pas être écoutés. Il y a toujours eu tout un système pour parler à leur place», explique au Soleil le cinéaste d'origine acadienne qui a multiplié les entrevues avec chacun de ses protégés pendant un an et demi. Une façon pour lui de mesurer l'évolution de chacun au fil des mois.

Sans faux-fuyant, avec un langage parfois cru, ces jeunes s'expriment sur leur vie de misère, entre les clients à la recherche d'une baise à bas prix et leurs revendeurs de drogues, fidèles au poste pour récolter les fruits de leur travail clandestin.

«Le diable te suit partout, dit l'un d'eux. Je consomme parce que ça me console. Ça me cache la réalité pendant un certain temps.»

Au sujet de leurs clients, l'un d'eux avoue : «Y font pitié. C'est leur seule façon d'avoir de l'amour. Nous, on rit d'eux autres...»

Abandonnés

Pour Rodrigue Jean, ces jeunes ne sont pas tous issus de milieux défavorisés. Sauf qu'ils souffrent, pour la plupart, d'avoir été abandonnés par leurs parents. Laissés à eux-mêmes, sans argent, affligés de carences affectives, ils n'ont eu d'autre choix que de sombrer dans la prostitution.

«Ils sont coincés entre leur pimp et l'appareil judiciaire. Ils font vivre bien du monde finalement, explique Rodrigue Jean. Leur argent passe directement à la pègre. Ils ne sont qu'une courroie de transmission», explique le cinéaste.

Le sort de ces jeunes marginaux, termine-t-il, devrait préoccuper toute la société. «Dans les débats sur l'enfance en difficulté, on entend souvent que c'est la faute du gouvernement, de la DPJ, des travailleurs sociaux... Il faut voir le problème de façon globale : c'est la faute à tout le monde. C'est un problème qui devrait concerner  l'ensemble de la communauté.»