Non, le cinéma d’auteur n’est pas mort. Il a juste besoin d’amour, selon Nanni Moretti. Et de l’amour, le réalisateur de La chambre du fils, Palme d’or à Cannes en 2001, en a des réserves dans son cœur et dans son âme. « Je suis conscient que le cinéma d’aujourd’hui vit une crise. L’industrie n’a rien à voir avec ce qu’elle était quand j’ai débuté dans le métier [il y a près de 50 ans]. Mais je refuse de faire un constat pessimiste. Je préfère réaffirmer la puissance et la magie du cinéma. Un art qui m’a toujours aidé à mieux vivre. »
Vers un avenir radieux (le titre original, Il sol dell’avvenire, tiré d’une chanson de la résistance italienne, est plus sarcastique, selon Moretti) raconte l’histoire de Giovanni, un cinéaste reconnu qui réalise un film sur le Parti communiste italien (PCI) en 1956. Alors qu’un cirque hongrois installe son chapiteau près de Rome, l’armée soviétique débarque dans les rues de Budapest pour tuer la révolte populaire contre le régime communiste. « Pour moi, l’insurrection de Budapest en 1956 représente une date charnière, dit Moretti. Je me suis demandé quel aurait été l’avenir du PCI si ses dirigeants s’étaient éloignés du bloc soviétique cette année-là. »
Comme dans plusieurs de ses films, Moretti incarne son alter ego… sans se donner le beau rôle.
Giovanni est un cinéaste bourru, égocentrique, toujours en décalage avec son entourage. Il est incapable de ressentir moindrement le désarroi de sa femme (Margherita Buy), et son attitude va d’ailleurs sonner le glas de son couple. Le comédien-réalisateur partage aussi la vedette avec Silvio Orlando et Mathieu Amalric, qui joue un producteur français très imprévisible.
Satire et nostalgie
Il y a un parfum de nostalgie, politique et existentielle, dans Vers un avenir radieux. La nostalgie de Giovanni, un vieux boomer, face à son époque qu’il peine à saisir. Et aussi une critique sur le cinéma commercial actuel, sa violence gratuite, son manque de sens. Mais Giovanni va mener son projet à terme. Et dirigera l’une des plus belles finales qu’on ait vues au cinéma, depuis… 8 ½ !
Vers un avenir radieux donne l’impression que 1956 marque le début de la fin des grandes utopies. Comme un rendez-vous raté avec l’Histoire.
Quand je vois la crise d’identité de la gauche en Occident aujourd’hui, ses difficultés à s’unir, malgré les raccourcis empruntés par la droite qui carbure aux slogans creux, je suis un peu nostalgique.
Nanni Moretti
Le cinéaste de 70 ans signe un film à la fois drôle et mélancolique. À son image.
Netflix et les plateformes
Une scène hilarante, souvent commentée depuis la sortie du film à Cannes, montre Giovanni dans une rencontre avec trois employés de Netflix. Le trio répète sans cesse au réalisateur que Netflix est diffusé dans « 190 PAYS ». Il lui verse des conseils bidon sur l’arc dramatique de son film. Il lui parle de lois scénaristiques, comme d’ajouter un « what the fuck moment » ! Avec humour, Moretti illustre ainsi son refus de céder aux sirènes du marché.
« Les plateformes fonctionnent bien pour les séries. Je suis abonné et j’en regarde, dit le réalisateur. Mais j’écris des scénarios en pensant à des gens qui vivent une expérience commune dans une salle bondée. J’ai besoin d’imaginer un public d’inconnus, dans une salle obscure, regardant des images plus grandes qu’eux sur un écran géant. Pas sur une tablette ou un téléphone dans le métro. De plus, lorsqu’on voit un film au cinéma, on en parle avec ses amis à la sortie ; on y pense durant plusieurs jours. Alors qu’un film qu’on voit seul sur son téléphone est vite oublié. »
Le Woody Allen italien
Dans Vers un avenir radieux, les protagonistes font référence à des classiques : The Swimmer de Frank Perry, Lola de Jacques Demy, Tu ne tueras point de Kieślowski, La Dolce Vita de Fellini, le cinéma « improvisé » de John Cassavettes. Pourquoi ces clins d’œil de cinéphile ?
Mon travail de réalisateur a toujours été influencé par mon travail de spectateur. Acteur, réalisateur, producteur et spectateur, je porte tous ces rôles en même temps. Les émotions que je ressens, comme spectateur, forgent les projets du cinéaste.
Nanni Moretti
On compare parfois Moretti au réalisateur d’Annie Hall, on dit qu’il est le « Woody Allen du cinéma italien ». Est-ce que la comparaison le flatte ? « Elle me convient, oui… Sauf que Woody Allen, dans ses bonnes années, tournait un film par an. » (Moretti a réalisé 16 longs métrages, des documentaires et des courts métrages.)
Avec un cirque ambulant, un réalisateur qui tourne un film dans le film, une musique de fanfare signée Franco Piersanti, qui a déjà été l’assistant de Nino Rota, Moretti rend aussi un vibrant hommage à Fellini et à son chef-d’œuvre 8 ½. Son film nous rend aussi nostalgiques de l’âge d’or du cinéma italien, à l’époque où un film pouvait nous faire rêver et pleurer… tout en parlant de politique et de lutte des classes.
À l’affiche le 13 octobre. Le film sera présenté au Cinéma du Musée dans le cadre du Festival du nouveau cinéma, le dimanche 8 octobre à 18 h 30.