L’acteur et cinéaste Bradley Cooper n’était pas de la première mondiale de son nouveau film, Maestro, sur la vie (de couple surtout) du célèbre compositeur et chef d’orchestre américain Leonard Bernstein, samedi à la Mostra de Venise. Sa covedette Carey Mulligan brillait aussi par son absence, grève des acteurs hollywoodiens oblige.

En plus d’interpréter le rôle principal, Cooper a coscénarisé (avec Josh Singer, oscarisé pour Spotlight) et réalisé ce film splendide et émouvant, sur le thème de la dualité. Maestro, qui raconte 30 ans d’un mariage atypique – Bernstein était bisexuel, ce que n’ignorait pas sa femme –, est construit comme une œuvre orchestrale ou une comédie musicale : avec ses mélodies, ses contrepoints, ses silences, ses crescendo, ses points d’orgue et ses multiples variations de tempos.

Le réalisateur de la plus récente adaptation de A Star Is Born, lancée à Venise en 2018, impose le rythme, en s’adaptant à la nature à la fois hyperactive et dépressive de son sujet, un chef d’orchestre extraverti doublé d’un compositeur introverti. Bernstein est lui-même devenu une vedette du jour au lendemain, à 25 ans, triomphant à Carnegie Hall après avoir remplacé au pied levé, le jour même, un chef indisposé.

La mise en scène de Bradley Cooper est remarquable. Il multiplie les jeux d’ombres (le film est tourné en partie en noir et blanc) et les trouvailles visuelles poétiques. Il confirme, si ce n’est déjà fait, qu’il n’est pas qu’un énième acteur avec de vagues aspirations de réalisateur, mais un cinéaste de talent.

Au cœur de Maestro, il y a bien sûr la musique du plus célèbre chef d’orchestre américain, compositeur notamment de la comédie musicale West Side Story et de la musique du film On the Waterfront d’Elia Kazan.

Cette musique majestueuse, choisie par Bradley Cooper parmi des œuvres parfois méconnues du répertoire de Bernstein, a été pour l’essentiel enregistrée pour la bande sonore du film par l’Orchestre symphonique de Londres, sous la direction du Québécois Yannick Nézet-Séguin.

PHOTO GIORGIO ZUCCHIATTI, FOURNIE PAR LA BIENNALE DE VENISE

Le chef d’orchestre Yannick Nézet-Séguin

« Bradley était avec moi et on tentait de reproduire fidèlement les interprétations de Bernstein, m’a expliqué Nézet-Séguin en marge de la conférence de presse de Maestro, samedi après-midi au Lido. C’est moi qui dirige l’orchestre, mais on espère que c’est Bernstein que l’on retient, dans l’essence et la quintessence. »

C’est son rôle de consultant à la direction d’orchestre, davantage que sa direction musicale, qui a surtout occupé Nézet-Séguin depuis les cinq ans qu’il travaille de concert avec Bradley Cooper sur son deuxième long métrage, qui sera diffusé sur Netflix avant la fin de l’année.

« Pour que le film se tienne, dit-il, il fallait que Bradley puisse incarner le chef Bernstein, ce qui est vraiment un grand défi. Il fallait non seulement qu’il apprenne la technique de la direction, mais qu’il incarne Bernstein, qui avait une façon unique de diriger. »

Il fallait qu’il puisse diriger un orchestre et être crédible, tout en gardant l’émotion de Bernstein et la passion qui le caractérisait. Ma mission, c’était aussi qu’il se sente libre dans son interprétation.

Yannick Nézet-Séguin

Mission accomplie. Une scène charnière du film, alors que Bernstein dirige avec son style flamboyant et son énergie électrisante son orchestre dans une église, m’a ému aux larmes. Je n’étais pas le seul. Une prédiction : Maestro sera sans aucun doute cité dans plusieurs catégories à la prochaine cérémonie des Oscars. Carey Mulligan est particulièrement exceptionnelle dans le rôle de la comédienne, militante et femme de Leonard Bernstein, Felicia Montealegre.

En l’absence de Bradley Cooper, de ses acteurs ainsi que de ses coproducteurs Martin Scorsese et Steven Spielberg, Yannick Nézet-Séguin, le directeur musical du Metropolitan Opera de New York, était la star de cette conférence de presse. À son côté se trouvait l’une des filles de Leonard Bernstein, Jamie, auteure d’un livre sur son rapport à son père, Famous Father Girl, publié en 2018.

« Mon frère, ma sœur et moi ne croyions pas que Bradley insisterait autant pour nous inclure dans son projet et préserver l’authenticité de l’histoire d’amour de nos parents », a-t-elle déclaré. Maestro n’évite pas les tensions, insatisfactions et difficultés de ce mariage interrompu par une séparation, peu avant la mort prématurée de Felicia Montealegre, en 1978, d’un cancer.

« Il y a un dicton au Chili, dit sa femme, qui a grandi en Amérique du Sud, à Bernstein pendant l’une de leurs disputes : il ne faut jamais rester sous un oiseau qui est plein de merde… »

« À l’écran, Bradley Cooper ressemble à mon père. Il a son énergie, sa dégaine, sa façon d’être. C’était vraiment le gars pour le job », croit Jamie Bernstein. Ce qui n’a pas empêché une polémique d’éclater il y a quelques semaines au sujet de la prothèse nasale portée par Cooper, assimilée au « Jewface », un stéréotype antisémite.

« Je ne m’y attendais pas. Je suis désolé d’avoir vexé des gens », a répondu à ce sujet le chef maquilleur, Kazu Hiro, en conférence de presse.

Je voulais rendre Lenny le plus crédible possible. C’était un personnage iconique et photogénique. On voulait respecter son look, que nous adorons. On a fait plusieurs tests. C’était notre seule intention.

Kazu Hiro

Mon seul bémol à propos de Maestro n’a pas trait à ce nez, que l’on oublie vite tellement il semble naturel, mais à la nature trop explicative de certains dialogues. Show, don’t tell, comme on dit à Hollywood. Ça va aussi pour les notes biographiques que l’on insère dans des répliques : « Tu as été nommé à telle fonction en telle année, tu as remporté tel prix l’année suivante, etc. » Ça, ce n’est pas naturel.

Un petit bémol dans un concert d’éloges.