Michael Bryant était coincé dans les travaux routiers, qui bloquaient deux voies sur quatre dans la rue Bloor, à Toronto. Un cycliste s'est soudainement arrêté devant lui. Me Bryant, qui a été ministre de la Justice en Ontario de 2003 à 2007, a étouffé son moteur, puis a eu de la difficulté avec l'embrayage de sa Saab. Sa voiture a fait un bond en avant et il a heurté la roue arrière du cycliste, Darcy Sheppard. Outré, ce dernier a invectivé l'automobiliste. Me Bryant a paniqué et, à la suite d'une mauvaise manoeuvre, a heurté M. Sheppard avec sa voiture. Le cycliste a essayé de s'introduire dans la voiture par la fenêtre du conducteur, qui tentait de s'enfuir. M. Sheppard est tombé de la voiture et est mort. Plus de six mois plus tard, Me Bryant a été innocenté, le procureur général ayant conclu que M. Sheppard était l'agresseur.

On a beaucoup parlé de la rage au volant. Mais les automobilistes se font maintenant servir la monnaie de leur pièce. Encouragés par la popularité et la place de plus en plus grande du vélo, certains cyclistes défendent maintenant leurs droits manu militari. Les conflits seront-ils de plus en plus nombreux?

Depuis un an, l'expérience de nombreuses villes nord-américaines semble montrer que c'est le cas. Le nouveau maire de Toronto a décrété la fin de la «guerre à la voiture» et des citoyens de nombreux quartiers de New York ont exigé le retrait de nouvelles pistes cyclables, y parvenant notamment à Brooklyn.

«On a souvent dit que plus il y a de vélos sur les routes, plus elles sont sécuritaires pour les cyclistes», explique Ross Owen Phillips, psychologue de l'Institut de l'économie des transports à Oslo, en Norvège, qui vient de publier une étude sur les interactions auto-vélo dans la revue Transportation Research. «Mais il y a également plus de possibilités de conflits, surtout quand les routes sont mal conçues. Il n'y a pas vraiment de recherche sur le sujet, c'est un phénomène vraiment nouveau. Mais de façon anecdotique, on voit que c'est un problème, même ici à Oslo. On a récemment commencé à installer des espaces aux feux rouges où les cyclistes peuvent s'amasser devant les voitures, et de nombreux automobilistes s'en plaignent, si on se fie aux journaux.» Un projet-pilote de «sas vélo» rue Milton est aussi en cours à Montréal.

L'étude de M. Phillips porte sur une bande cyclable construite il y a 10 ans à une intersection d'une route provinciale entre les villages de Sorkedalsveien et Morgedalsvegen, en banlieue d'Oslo. «Elle a été construite parce qu'il y avait beaucoup d'accidents impliquant des vélos et des voitures à cette intersection, dit le psychologue d'origine britannique. Au début, il n'y a pas eu de changement important, mais après quatre ans, et encore plus après dix ans, le nombre d'interactions potentiellement risquées avait beaucoup diminué. Mais ce n'est pas tout, de réduire le risque d'accident. Il n'y a pas d'étude sur le sujet, mais si faire du vélo devient stressant parce qu'il y a beaucoup d'interactions émotionnellement difficiles avec les automobilistes, on peut penser que ça va décourager certaines personnes d'adopter le vélo comme mode de transport. Et on ne peut pas construire des pistes cyclables séparées de la chaussée partout.»

La police aux aguets

Pour compliquer le tout, la police a réagi à l'augmentation du nombre de cyclistes en faisant preuve de sévérité, à Montréal ou ailleurs. Cette opération, à New York, a même mené à une vidéo satirique tournée par un cinéaste qui a reçu en mai une contravention parce qu'il roulait à l'extérieur d'une piste cyclable. (Une nouvelle loi québécoise vient d'autoriser les cyclistes à rouler à l'extérieur des pistes cyclables dans les rues qui sont dotées de telles voies.)

«Je roulais sur la 7e près de la 2e Avenue», dit Casey Neistat, un réalisateur qui vient de tourner en Afghanistan un documentaire sur les Marines chargés de récupérer en terrain ennemi les pilotes abattus. «Je n'aime pas la piste cyclable qui est là, parce qu'on est coincé entre le trottoir et des voitures garées. On ne peut pas éviter les piétons qui décident sans regarder de mettre le pied sur la piste. Un policier m'a arrêté alors que je me rendais au travail, à la pluie battante, et m'a donné une contravention de 50$. Je n'en revenais pas. J'ai décidé de montrer l'absurdité de ce règlement.»

La vidéo, qui a été comparée à la série Jackass, montre M. Neistat en train de foncer dans un trou de la piste, dans un taxi garé, dans un camion de livraison et même une voiture de police. Le succès a été immédiat. «L'agent qui m'a donné la contravention m'a reconnu après avoir vu la vidéo et s'est arrêté pour me saluer», dit M. Neistat.

Le cinéaste new-yorkais en a profité pour dénoncer l'interdiction de rouler dans les voies réservées pour les autobus et les taxis. Cette question a fait couler beaucoup d'encre au cours des dernières années à Québec, où les cyclistes circulant dans la voie réservée du boulevard René-Lévesque se sont trouvés dans la ligne de mire des autobus et des taxis. Plus tôt cette année, à Longueuil, un cycliste a filmé deux autobus le frôlant alors qu'il circulait dans la voie réservée du boulevard Saint-Charles. Un certain flou règne sur la question. Au Service de police de la Ville de Montréal, la relationniste Anie Lemieux indique que les voies réservées sont interdites aux voitures, mais pas aux vélos. Mais à la Société de transport de Montréal, la relationniste Odile Paradis souligne que le Code de la route interdit aux cyclistes d'emprunter les voies réservées.