Matteo Lane, Margaret Cho, Bob the drag queen, Tig Notaro, Bowen Yang, Jonathan Van Ness, Wanda Sykes, Fortune Feimster, Joel Kim Booster et tant d’autres ont permis à l’humour queer de se développer à grande vitesse. Depuis quelques années, le Québec assiste lui aussi à une explosion de talents LGBTQ+. La Presse a réuni les humoristes Justine Philie, Charlie Morin, Tranna Wintour et Erika Suarez pour en parler.

Quels thèmes queers abordez-vous ?

Tranna – La culture pop queer. Je parle souvent de transphobie et d’homophobie de façon drôle. Et j’aime me moquer de l’hétéronormativité.

Erika – La réalité d’une personne queer issue d’une famille latino et la pansexualité, soit le fait de s’intéresser à quelqu’un au-delà de son genre.

Charlie – L’homoparentalité, parce que j’ai des mères lesbiennes. Je trouve ça drôle de m’immiscer dans les relations hommes-femmes avec un regard d’homme gai. J’aime aussi parler de sexualité queer de manière crue, en restant au service de la blague.

Justine – Je parle souvent de ma blonde, de mon quotidien queer, du fait que j’aurais été une mauvaise hétéro. Comme j’ai beaucoup d’amies hétérosexuelles et que j’entends souvent des choses sur leur sexualité auxquelles je peine à croire, j’aime en rire.

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Justine Philie

Faites-vous parfois de l’humour dépréciatif sur votre orientation sexuelle ou votre identité de genre ?

Charlie – C’est important de savoir rire de soi et de nous en tant que communauté. J’adore rire de la façon dont les hommes gais sont ridicules parfois, mais toujours en riant de nous parce que je nous aime. Quand je dis que je suis fif de manière absolument péjorative, parce que c’est moi et que j’ai l’air de ce dont j’ai l’air, les gens comprennent et peuvent rire avec moi.

Justine – Quand on rit de nous, ça donne la permission aux gens de rire aussi. Il y a une différence entre se servir de notre vécu et se haïr à travers lui.

Tranna – Quand je vois des humoristes, souvent des straights, dépasser le stade de l’autodérision et se détester sur scène publiquement, ça m’étonne. Avant de monter sur scène, j’ai dû trouver un amour pour moi.

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Tranna Wintour

Erika – Ça prend une grande confiance en soi pour monter sur scène et parler de son identité queer.

Vous moquez-vous des hétéros ?

Justine – Souvent ! Je raconte en blague que je suis tannée de me faire demander qui fait le gars et qui fait la fille avec ma blonde, avant de dire que c’est clairement moi le gars… Ça me permet de me moquer des stéréotypes et des attentes dans les couples hétéros. L’idée, c’est de ne pas avoir un ton accusateur.

Charlie – J’ai un numéro sur comment les gars hétéros sont poches pour prendre des dick pics. Ça leur enlève de la pression quand on en parle. En humour, si un humoriste italien parle de sa famille italienne, tu te dis : « J’ai une famille, alors je vais comprendre. » Mais quand tu parles de sexualité queer, les hétéros n’ont pas tendance à se dire : « Ah, moi aussi, j’ai une orientation sexuelle. » Pour eux, l’hétérosexualité, c’est la norme. Faut que tu les prennes par la main un peu plus. C’est payant, parce que ça les surprend.

Erika – J’ai déjà dit sur scène que si vous êtes des gars hétéros, vous faites partie du + dans LGBTQ+, parce que moi, je peux m’intéresser aux LGBTQ et à tout le reste. La pansexualité englobe les hétéros, qu’ils le veuillent ou non. Je suis une personne queer qui peut s’intéresser à un homme hétéro cisgenre. Ils n’y pensent jamais, mais j’aime les inclure. Et ensuite, je peux rire d’eux.

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Erika Suarez

Tranna – Je n’ai pas peur de les provoquer. Dans mon ouverture, je demande souvent s’il y a des gars hétéros dans la salle. Généralement, ils ne s’identifient pas, car ils ont toujours un peu peur des trans. J’aime beaucoup me moquer de ça. Et je blague en disant à quel point je suis contente d’être au point où les hommes hétéros ont peur de s’identifier en public. Avec humour, je veux effacer un peu les gars straights de la même manière que le monde veut nous effacer.

Comment expliquez-vous l’appétit grandissant du grand public pour l’humour queer ?

Tranna – Notre humour est progressiste et il reflète le monde actuel. La plupart des humoristes queers offrent quelque chose de super intelligent. L’an passé, quand je rodais mon numéro pour le gala à Just for Laughs, j’ai vu un humoriste américain straight, et j’avais l’impression d’être en 1985. Il n’y avait pas d’évolution. L’humour queer aborde des sujets dont on a peu parlé auparavant et repousse les limites.

Justine – C’est plus subversif. On va dans des talles un peu différentes.

Charlie – Après des décennies de séries télé avec des trames narratives dramatiques, qui tournent autour du coming out et de l’acceptation des parents, on a enfin accès à des humoristes queers en contrôle, qui parlent de choses drôles, de leurs points de vue et de leurs références. Oui, parfois, on va parler de traumas, mais en joke. Avant de faire mes débuts en humour, je me demandais si le monde était prêt à rire avec moi et mon côté super fif, sur lequel je ne veux absolument rien concéder. La réponse est oui ! Ils rient. Je n’ai jamais senti d’animosité. Pas juste à Montréal, mais partout au Québec.

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Charlie Morin

Est-ce qu’il y a un risque de se dénaturer quand on joue devant un public à majorité hétéro ?

Erika – Ça dépend. Si je fais un show dans un safe space, je ne change rien, car je sais que mon monde me suit. Si je suis dans un line-up d’humoristes ultra hétéronormatif, je ne vais pas modifier mon humour, mais je vais prendre un peu plus de temps pour me rendre à la blague. C’est la même chose pour l’humour ethnique lorsque je vais en région : si je lance des blagues sur le fait d’avoir des parents immigrants ou sur le fait de grandir dans des quartiers majoritairement composés d’immigrants, et que je suis dans un endroit où ce n’est pas une réalité, je vais prendre un petit détour pour me rendre à ma blague.

Tranna – L’industrie veut toujours que les choses intéressent tout le monde, mais ça ne se peut pas. Les niches sont une bonne chose. Tout n’est pas fait pour tout le monde. Quand tu deviens trop général, ça n’intéresse personne. C’est mieux de faire des choses qui vont exciter le monde qui vient te voir.

Ça fait quoi aux personnes LGBTQ+ de rire queer ?

Charlie – Il n’y a rien comme un public queer qui ne sait pas que l’humour peut être pour lui aussi. Ça rit comme jamais !

Justine – C’est le meilleur public, en fait.

Erika – J’aime installer une prémisse ou faire un punch en voyant une personne dans la foule hocher la tête en signe d’approbation parce qu’elle s’est reconnue. Il n’y a rien de mieux !

Justine Philie, Erika Suarez et Charlie Morin feront partie de la distribution du spectacle d’humour 100 % queer Me joke-tu ?, présenté le 3 août au National dans le cadre de Fierté Montréal.

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