La chose n’est pas très connue, mais depuis l’année de sa création, en 1935, l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) a accumulé assidument des milliers d’objets et de documents qui témoignent de sa riche histoire.
Vous pensez bien que j’ai accepté avec joie l’invitation de l’OSM à aller fouiner dans la salle où sont entreposés ces photographies, enregistrements, correspondances, contrats, télégrammes, programmes et autres artéfacts.
J’ai eu droit à cette visite privilégiée à l’occasion du lancement des célébrations entourant la 90e saison de l’OSM qui prendra officiellement son envol l’automne prochain. Pour donner le coup d’envoi à ces festivités, un évènement spécial aura lieu le 16 janvier prochain.
Mais revenons d’abord en arrière, quelque part en 1934, et retrouvons-nous lors d’une réunion en compagnie d’Athanase David, alors député libéral dans Terrebonne à Québec (il est le grand-père de Françoise, Hélène, Pierre et Charles-Philippe), sa femme Antonia Nantel, le critique musical Henri Letondal, de même qu’Ernest Tétraut, Victor Doré, Ubald Boyer et Jean Lallemand. Car c’est à ces mélomanes influents et déterminés que nous devons l’existence de cet orchestre, l’une des grandes fiertés québécoises.
Certains de ces membres fondateurs gravitent alors autour du Montreal Orchestra, une formation composée en grande partie de musiciens s’étant retrouvés sans emploi après l’arrivée du cinéma sonore. Jugeant que cet orchestre servait mal les musiciens et les mélomanes francophones, le groupe décide de prendre ses distances pour créer les Concerts symphoniques de Montréal (le nom de l’OSM viendra en 1954).
Pour lancer cette entreprise, le comité organisateur prend les grands moyens et entreprend de rapatrier Wilfrid Pelletier, qui est attaché au Metropolitan Opera, à New York, depuis plusieurs années. Enthousiasmé par ce défi, le chef accepte cette offre et revient vivre dans sa ville natale.
Le premier concert des CSM est offert le 14 janvier 1935 à l’auditorium de l’école Le Plateau, située dans le parc La Fontaine. Des travaux totalisant 22 000 $ servent à rénover la salle afin qu’elle puisse mieux accueillir l’orchestre et ses musiciens. Il en coûte alors 5 $ pour s’abonner aux six concerts de la saison.
Cette fabuleuse histoire sommeille aujourd’hui dans les salles d’archives et de partitions de la Maison symphonique. Elle prend la forme de dizaines de milliers de documents qui, lorsqu’on se met à les feuilleter, garantissent des frissons. Il faut voir le soin avec lequel on préparait dès 1935 les programmes destinés aux matinées scolaires (une idée de Wilfrid Pelletier). Des billets de concert sont encore présents dans certains feuillets.
Quelle émotion j’ai eue en lisant un télégramme de Maurice Duplessis confirmant qu’il ne pourra honorer de sa présence un certain concert, en 1951. Ou alors la correspondance entre Claude Robillard, responsable des parcs à la Ville de Montréal, et l’équipe de l’OSM pour l’organisation d’un concert en plein air, en 1953.
J’avoue avoir été fasciné par la publicité du Dollar Symphony Forum où, pour la modique somme d’un dollar, on pouvait assister à un concert au Forum de Montréal en 1962. Et aussi celle de la tournée de l’OSM en Russie la même année.
J’ai rencontré l’archiviste Sophie Rodrigue, dont le rôle est d’inventorier et d’identifier ces innombrables documents.
Il y a environ 800 boîtes ici. Longtemps elles ont été entreposées dans les garages de la Place des Arts. Heureusement, rien n’a été abîmé.
Sophie Rodrigue
Dans ces boîtes, dont plusieurs n’ont pas encore été dépouillées, on trouve les programmes de tous les concerts présentés depuis 90 ans. Ils sont très utiles pour connaître les œuvres qui ont été interprétées, dans quel programme elles s’inséraient et qui les a dirigées. On y découvre notamment les détails entourant le passage de Leonard Bernstein, en 1944, ou celui d’Igor Stravinsky, en 1946, venu diriger ses propres œuvres, dont L’Oiseau de feu.
« C’est tout de même extraordinaire, je travaille tous les jours entourée de trésors, ajoute Sophie Rodrigue. Ces documents ne racontent pas juste l’histoire de l’OSM, mais aussi celle du Québec. Par exemple, on voit l’évolution de la femme dans les publicités. »
Au fait, saviez-vous que les fameux concerts Pop ont commencé en 1969 ? Les premiers furent consacrés aux chansons de Gilles Vigneault, Jean-Pierre Ferland et Robert Charlebois. Il existe dans les archives de l’OSM les arrangements symphoniques d’environ 1000 œuvres populaires.
Parlant de partitions, il est impressionnant de voir les étagères croulant sous ces milliers de feuilles indéchiffrables pour le commun des mortels. Ce sont des documents d’archives, mais surtout des outils de référence. Le musicothécaire Michel Léonard, ange gardien de ces joyaux, prend un plaisir évident à expliquer comment les coups d’archet sont indiqués (souvent à la main) et conservés pour la postérité.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les instrumentistes à cordes ne décident pas individuellement de la façon d’appliquer les mouvements d’archet. Ceux-ci sont déterminés à l’avance par le premier violon. Ces coups sont « tirés » ou « poussés ». Une fois coordonnés, ces gestes procurent des effets, des sonorités et des couleurs qui deviennent propres à un orchestre.
L’histoire de l’OSM est riche et prodigieuse. On n’a pas fini de la raconter. Grâce à ceux qui ont protégé cette mémoire au cours des neuf dernières décennies, nous avons tout ce qu’il faut pour le faire.
Soirée spéciale
Le coup d’envoi aux célébrations entourant la 90e saison de l’OSM sera donné le 16 janvier. Pour l’occasion, Rafael Payare dirigera la Symphonie no 7 en mi mineur de Malher. Une sélection d’objets provenant des archives sera exposée dans les foyers. De plus, 90 spectateurs chanceux pourront découvrir un cadeau. Le programme musical sera repris les 17 et 20 janvier.
Consultez la page de l’évènementL’OSM en 10 dates
- 1934 – Création de la Société des concerts symphoniques de Montréal
- 1935 – Création des Matinées pour la jeunesse
- 1938 – Début des concerts gratuits sur l’Esplanade du chalet du Mont-Royal
- 1954 – Les Concerts symphoniques de Montréal changent de nom pour devenir l’Orchestre symphonique de Montréal
- 1962 – Première tournée internationale sous la baguette de Zubin Mehta
- 1980 – Premier enregistrement de l’OSM dirigé par Charles Dutoit
- 2011 – Ouverture de la Maison symphonique de Montréal
- 2014 – Inauguration du Grand Orgue Pierre-Béique, dont l’achat a été rendu possible grâce à madame Jacqueline Desmarais
- 2016 – Création du programme La musique aux enfants, une initiative de Kent Nagano
- 2021 – Rafael Payare est nommé directeur musical