Cela faisait trois ans que Catherine Turgy préparait un immense projet : prendre un congé de six mois et parcourir les 3500 kilomètres de l’Appalachian Trail, de la Géorgie jusqu’au Maine. La pandémie est évidemment venue bousiller tout ça.

Après quelques semaines de deuil, elle a fini par mettre en œuvre un plan B : traverser le Québec de Mont-Tremblant à Gaspé en suivant les tronçons du Sentier national du Québec (SNQ) et le Sentier international des Appalaches (SIA). Ce plan de rechange, plus sauvage, a totalement dépassé ses attentes.

« C’est un énorme cadeau de la vie dans une période où il ne semble pas y avoir d’espoir, commente-t-elle. Je suis fière d’avoir pu me revirer de bord et créer quelque chose de beau avec les citrons que la vie m’envoyait. »

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE CATHERINE TURGY

À la mi-mars, Catherine Turgy entamait en Géorgie sa longue randonnée sur l’Appalachian Trail.

La situation a été particulièrement crève-cœur pour Catherine Turgy. Elle était sur l’Appalachian Trail depuis une dizaine de jours lorsqu’elle a appris que les autorités fermaient le parc national des monts Great Smokies en raison de la pandémie, bloquant ainsi la suite du sentier.

« Lorsque je suis arrivée devant cette pancarte, je ne pouvais pas croire que ça s’arrêtait là, que je me trouvais devant un mur », se rappelle-t-elle avec émotion.

Un retour difficile

Le retour à Montréal a été difficile : ses parents ont conduit sa voiture à l’aéroport pour qu’elle puisse partir seule faire sa quarantaine dans le chalet familial.

« Je les voyais sur le trottoir de l’autre côté, j’avais le goût de les serrer dans mes bras, j’avais le cœur en miettes. »

Après sa quarantaine, Catherine Turgy est retournée chez son employeur, mais le cœur n’y était pas. Après deux mois, elle a décidé de remettre ses chaussures de marche et de se lancer sur le SNQ, un projet en construction qui reliera un jour Gatineau à Gaspé. Si la dernière section, le SIA, est un sentier continu de 650 kilomètres, le SNQ est une succession de tronçons parfois isolés.

« Entre Gatineau et Tremblant, il y a beaucoup trop de trous, j’aurais eu besoin de transport. J’ai donc choisi de faire le chemin de Tremblant à Gaspé. »

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE CATHERINE TURGY

Le plan B, c’est le Sentier national du Québec.

Mais même dans cette section, il y a beaucoup de tronçons qui sont encore inexistants.

« D’habitude, je suis autonome, mais j’ai appris à demander de l’aide. Les gens de mon entourage ont été là pour moi pour combler ces trous. »

Elle a ainsi pu rallier les tronçons existants en voiture, mais aussi faire des randonnées à la journée pour visiter des sommets qui n’étaient pas directement sur le SNQ.

Une amie l’a finalement déposée à Matapédia pour entamer la pièce de résistance, le SIA, qui traverse notamment la réserve faunique de Matane et le parc de la Gaspésie. Elle a terminé son périple le 5 septembre au bout du parc de Forillon, à Cap-Gaspé, après 76 jours et 1535 kilomètres de marche.

« C’était un mélange d’euphorie et de nostalgie. Je me suis écroulée : c’est toute l’année 2020 qui remontait. »

Plus complexe

L’expérience, évidemment, a été bien différente du plan initial. Sa longue randonnée au Québec a été plus coûteuse et plus compliquée à organiser que l’Appalachian Trail : 104 $ pour la Traversée de Charlevoix, 400 $ pour le SIA, en plus du camping et des droits d’accès de la SEPAQ et du parc de Forillon. Catherine Turgy s’attendait à payer environ 60 $ dans les parcs nationaux aux États-Unis.

Il fallait planifier soigneusement l’itinéraire sur le SIA, notamment pour réserver l’hébergement dans le parc de la Gaspésie. Pour la spontanéité, il fallait repasser.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE CATHERINE TURGY

Le Sentier international des Appalaches, en Gaspésie, la dernière grande étape de Catherine Turgy

« Le parc de la Gaspésie, c’est la plus grosse épine dans le pied, confie Catherine Turgy. Le moindrement que tu prends un peu d’avance sur ton planning ou un peu de retard parce que tu as une blessure ou un imprévu, tu ne peux pas changer tes réservations. »

Dans les abris du SIA, on trouve souvent un registre qui permet aux randonneurs de laisser un mot d’encouragement, de donner des informations sur la section à venir, de raconter des anecdotes.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE CATHERINE TURGY

Le Sentier international des Appalaches traverse le parc de la Gaspésie, où il prend le nom de sentier de la Grande traversée.

« C’était super sympathique, mais dès que tu arrives au parc de la Gaspésie, il n’y en a plus, déplore Catherine Turgy. En outre, tu croises plus de randonneurs de jour, des gens qui ne sont pas tous éduqués aux principes du Sans trace. J’avais presque hâte de sortir du parc. »

Logistiquement parlant, l’Appalachian Trail est plus facile à organiser, avec ses navettes et ses auberges. Pour le SNQ, il faut avoir de l’aide de la famille et des amis.

« Ce n’est pas encore possible de la faire en totale autonomie. Mais ça s’en vient. »

Par contre, elle estime que le SNQ et le SIA ont un côté plus naturel, plus sauvage.

« J’ai été surprise par la facilité de l’Appalachian Trail. Ça fait tellement longtemps que ça existe que c’est une autoroute, c’est bien balisé, tu peux ne pas regarder où tu mets les pieds et tu ne t’enfarges pas. Le SIA et le SNQ sont moins explorés, parfois moins entretenus, mais c’est ce qui fait leur charme. »

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE CATHERINE TURGY

Un des derniers jours de Catherine Turgy sur l’Appalachian Trail, à la frontière entre la Géorgie et la Caroline du Nord

Catherine Turgy n’écarte pas l’idée de reprendre l’Appalachian Trail, mais certainement pas au cours des deux prochaines années, alors que la « cohorte perdue » de 2020 s’ajoutera aux nouvelles cohortes. Or, le sentier est déjà surpeuplé depuis quelques années.

« L’achalandage sur l’Appalachian Trail m’a refroidie un peu, avoue-t-elle. Voir une centaine de personnes sur les campements, pour moi, ce n’est pas ça, la longue randonnée. Ce n’est pas Woodstock. On est là pour se rapprocher de la nature, pas pour la détruire. »

Alors qu’environ 4000 personnes cherchent à parcourir l’Appalachian Trail de bout en bout chaque année, le SIA n’aurait reçu qu’un peu plus d’une centaine de thru-hikers cette année. C’est un autre de ses attraits.

« C’est chez nous, c’est notre langue, notre culture, nos gens. »

Suggestion de vidéo

Le psicobloc, c’est de l’escalade au-dessus d’un plan d’eau. Si on tombe, on plonge… Ici, le grimpeur professionnel Chris Sharma tente une nouvelle voie en Espagne.

Regardez la vidéo au complet

Chiffre de la semaine : 63

C’est le nombre de zecs (zones d’exploitation contrôlée) qui existent au Québec.