« Ça va aller, ça va aller », ne cessait de se répéter Marjorie Lajoie avant d’entamer le programme libre en danse des Championnats du monde de patinage artistique de Montréal, samedi après-midi. La patineuse respirait plus fort que d’habitude.

Pour Zachary Lagha, ces deux manifestations signalaient que sa partenaire des 13 dernières années était plus tendue que d’ordinaire. Or quand les premières notes de Roses, du pianiste québécois Jean-Michel Blais, ont retenti dans les haut-parleurs du Centre Bell, cette nervosité a disparu comme par enchantement. « Un miracle est apparu ! », ira même jusqu’à déclarer la jeune femme.

Quatre minutes plus tard, après un ballet sur glace tout en finesse et en douceur, Lajoie et Lagha ont quitté la patinoire sous les acclamations des 8000 spectateurs qui occupaient la totalité des deux premiers niveaux de l’enceinte.

Première paire du dernier groupe, les patineurs québécois ont pris la tête, ce qui a soutiré un sourire au placide Patrice Lauzon, l’un de leurs entraîneurs à l’Académie de glace de Montréal (I.AM).

Au bout du compte, le pointage de 125,71 points, une marque personnelle, leur a permis de maintenir leur rang après leur cinquième place de la veille à la danse rythmique. Dernier duo en lice, leurs compatriotes canadiens Piper Gilles et Paul Poirier ont causé la surprise et créé la sensation en décrochant la médaille d’argent, tout juste derrière les tenants du titre, les Américains Madison Chock et Evan Bates. Les Italiens Charlène Guignard et Marco Fabbri ont dû se contenter du bronze.

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Piper Gilles et Paul Poirier

« On a fait le taf »

En clair, Marjorie Lajoie et Zachary Lagha ont réalisé un bond de géant depuis leur 11position à leur dernière participation aux Mondiaux en 2022, quelques semaines après avoir fini 13es aux Jeux olympiques de Pékin.

À part leurs entraîneurs, à peu près personne ne les croyait capables d’obtenir un tel résultat considérant la sévère commotion cérébrale subie par Lajoie en janvier, blessure qui a mis en péril leur présence à Montréal.

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Marjorie Lajoie et Zachary Lagha

Surpris de cette cinquième place ? « On n’y pensait même pas, on voulait juste bien patiner, a répondu Lagha. Après ça, les résultats, les scores, c’est la cerise sur le gâteau. »

On dit tout le temps qu’on ne veut pas penser aux résultats, mais je pense que c’est ma première compétition à vie où je n’y ai pas pensé du tout. À cause de ma blessure, du temps qu’on a eu [pour se préparer] et de l’ampleur de la compétition devant la famille et les amis, on voulait juste bien patiner.

Marjorie Lajoie

Vendredi, Lagha avait surpris les journalistes en affirmant de but en blanc qu’il n’avait pas hâte de sauter sur la glace, soulignant combien la pression étouffait le plaisir pour la très grande majorité des concurrents, qu’ils l’avouent ou pas.

Cette fois, l’athlète de Saint-Hubert a eu « un peu plus » de plaisir que la veille. « On est très, très contents. On a fait le taf, on a géré, on a été pros. »

Comme dans un manège

De la même façon, Marjorie Lajoie a agi comme une professionnelle après avoir subi une commotion cérébrale sur une chute à l’entraînement. Elle est tombée sur les fesses et sa tête n’a pas heurté la glace, mais l’effet coup de lapin a été dévastateur pour son cerveau. Elle a compris qu’elle souffrait de ce mal insidieux deux jours plus tard durant un porté rotationnel où son acolyte lui faisait faire un véritable tour de manège.

La réadaptation a été longue et pénible. Aidée des spécialistes de l’Institut national du sport du Québec, la patineuse de Boucherville a recommencé l’entraînement de façon très graduelle. Ce n’est que trois semaines avant les Mondiaux qu’ils ont pu reprendre les pratiques sur glace.

« On a ajouté un élément par jour, a relaté leur entraîneuse Marie-France Dubreuil. Le porté rotationnel, ça fait seulement 10 jours qu’ils l’ont réintégré. Elle s’était fait une entorse cervicale en faisant ce lift-là. La tête est assez loin et ça tourne. On a donc pris notre temps, d’autant qu’il arrive à la fin dans les deux programmes. »

Marjorie Lajoie a dû trouver des stratégies pour ne pas perdre l’équilibre après ces six révolutions à très haute vitesse, sans compter la sortie. « J’étais tellement étourdie au début, et pas nécessairement à cause de la commotion. N’importe qui est étourdi en faisant un lift rotationnel. Là, ça faisait deux mois que je n’avais pas tourné. On a donc développé des trucs : quand je sors du lift, je le regarde et on continue après. Je n’ai jamais pensé que j’aurais à travailler ça. »

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Marjorie Lajoie et Zachary Lagha

Pendant la convalescence de sa complice, Lagha a poursuivi sa progression individuelle. « Marjo et Zach, je les appelle mes super kids, a raconté Marie-France Dubreuil. S’ils ont un plan, ils vont l’exécuter à la lettre. Ils croient en leurs moyens. Ils patinent depuis tellement longtemps ensemble qu’ils peuvent le faire les yeux fermés. »

J’ai dit à Zach : “Améliore-toi de ton côté et Marjorie va te suivre. C’est ce qu’elle fait le mieux au monde, te suivre.”

L'entraîneuse Marie-France Dubreuil

Champions mondiaux juniors en 2019, Lajoie et Lagha figurent maintenant parmi les meilleurs de la catégorie senior. À 23 et 24 ans, ils détonnent. L’âge moyen des médaillés à Montréal est de 33 ans et un tiers. Aucun d’eux, y compris les vice-champions Gilles et Poirier, n’a souhaité confirmer sa participation à la prochaine saison.

« On a encore du travail à faire et on va juste se concentrer là-dessus, a prévenu Lagha. Si les juges veulent nous mettre en haut, ils le feront. Nous, on va seulement continuer nos performances et laisser le monde apprécier ce qu’on fait, espérons-le. »

Capitale mondiale de la danse

Après avoir ravi deux fois le bronze (2021 et 2023), Piper Gilles et Paul Poirier ont bousculé l’ordre établi en surpassant les Italiens Guignard et Fabbri, en route vers une médaille d’argent inattendue. Leur score de 133,17 a été le meilleur du libre, dépassant de plus d’un point les champions mondiaux américains Chock et Bates.

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Piper Gilles et Paul Poirier

« Le programme libre est habituellement le plus fort pour nous, et aujourd’hui, on s’est sentis tellement présents sur la glace », a noté Poirier, un Franco-Ontarien originaire d’Ottawa.

Chock et Bates, qui s’entraînent à Montréal sous la gouverne de Dubreuil et Lauzon, se sont sentis à la maison au Centre Bell, où l’ambiance « était électrique ». « Quand on est arrivés pour la première fois, je me suis demandé si ce n’était pas notre immeuble à logements que j’apercevais dans la rue, a souligné Madison Chock. C’était un peu surréel d’être entourés de tant de choses si familières. À l’hôtel, on était dans notre bulle habituelle, c’était vraiment merveilleux d’avoir tant de monde de notre famille d’I.AM et de notre propre famille et nos amis. Ça a été une très belle expérience. »

En plus de cet autre titre mondial, les protégés de Dubreuil et Lauzon à I.AM ont occupé 6 des 10 premières places, 7 en ajoutant les Américains Christina Carreira, une Montréalaise d’origine, et Anthony Ponomarenko, qui s’entraînent au campus de London, en Ontario, avec le champion olympique Scott Moir.

Plus que jamais, Montréal est la capitale mondiale de la danse sur glace.

« Une victoire de vie »

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Laurence Fournier Beaudry et Nikolaj Sørensen

Après leur déconvenue de la veille, Laurence Fournier Beaudry et Nikolaj Sørensen ont rebondi au programme, ce qui leur a permis de grimper d’un échelon au neuvième rang. Fournier Beaudry, qui avait raté une volte dans la danse rythmique, était particulièrement émue à la fin de la chorégraphie, qui s’est terminée par une ovation. Les encouragements reçus par la foule avant le début de leur prestation l’ont presque dérangée. « C’était vraiment fantastique, a-t-elle confié. J’ai dû me concentrer et me dire que j’avais un travail à faire, mais j’ai pris tout l’amour qu’ils nous ont donné pour le livrer ensuite durant la performance. » Cinquièmes l’an dernier, le duo québécois a dû composer avec le dévoilement d’une plainte pour agression sexuelle d’une ex-patineuse américaine au Bureau du Commissaire à l’intégrité dans le sport contre Sørensen, qui clame depuis son innocence. « Ils ont offert la performance dont ils étaient capables, s’est réjouie leur coach Marie-France Dubreuil. C’est comme une victoire de vie plus que de patin. »

Pas de flambeau pour Deschamps

Le Canadien de Montréal n’a pas acquiescé à la demande de Maxime Deschamps de transporter le flambeau lors du gala de clôture des Championnats du monde dimanche après-midi, selon une porte-parole de Patinage Canada. L’objet sacré restera donc dans son présentoir à proximité du vestiaire de l’équipe. Chose certaine, le coup de patin du nouveau champion mondial en couple, avec sa partenaire Deana Stellato-Dudek, ne souffrira pas de la comparaison avec celui des hommes de Martin St-Louis.