Frédérique Turgeon a pensé tout arrêter. Son dernier cycle paralympique a été éprouvant et cruel. Elle avait même perdu le plaisir de skier. La revoilà, en paix, après une peine d’amour sportive qui l’a fait grandir. Gagnante à nouveau, elle a réappris à aimer son sport.

La peine d’amour est une image symbolique, comme une allégorie, pour illustrer la sensation ressentie par Frédérique Turgeon à l’égard de sa discipline. En réalité, elle file le parfait bonheur avec son compagnon des six dernières années, Thomas.

Les tourtereaux se sont présentés ensemble dans la salle de rédaction de La Presse, quatre jours après le retour au Québec de la paraskieuse.

À Saalbach-Hinterglemm, en Autriche, l’athlète de 23 ans venait de gagner sa première médaille d’or de la saison, en descente. Le lendemain, elle est descendue d’une place sur le podium.

« J’étais vraiment soulagée, parce que je me disais : “Ouf, je l’ai encore !” », raconte Frédérique Turgeon, de l’autre côté de la table.

Tous les astres sont alignés pour l’étoile de Candiac. En décembre, elle a terminé en quatrième place trois fois de suite en technique et en vitesse. « Je n’avais juste pas assez d’agressivité. Il faut que je skie pour gagner. »

Ce qu’elle a fait aux Mondiaux, sans pour autant que ce soit suffisant. Elle a remporté le bronze en descente.

« J’étais un peu déçue, dit-elle en jouant avec le col de sa veste blanche. J’ai fait une erreur à la fin qui était immense et, selon moi, j’avais laissé aller une médaille d’or aux Mondiaux. »

Le flocon en bronze autour de son cou lui a quand même assuré une place au sein du programme national pour les deux prochaines saisons. Elle a également terminé quatrième au combiné et cinquième en super-G.

Avec très peu de recul, elle cause avec fierté de ses performances, mais surtout de sa tenue. D’être restée debout face au vent. La tempête des dernières années ne l’a pas emportée. Elle s’est plutôt relevée pour avancer, comme elle le fait tout le temps.

S’accrocher à nouveau

En 2018, Frédérique Turgeon a connu sa meilleure saison à vie.

Mais depuis, son père est mort subitement, elle a dû se séparer de son entraîneur adoré, sa meilleure amie a quitté l’équipe nationale et elle a eu des ennuis de santé, dont une blessure majeure au dos. Elle comptait retrouver un peu de lumière lors des derniers Jeux paralympiques, à Pékin, mais à l’entraînement, quelques jours avant sa première épreuve, elle s’est blessée sérieusement à la jambe. Elle a dû faire une croix sur la plus grande compétition de sa vie. Celle à laquelle elle s’était accrochée, comme une bouée, pendant quatre ans.

« Il y a eu des hauts et des bas. En fait, beaucoup de bas et très peu de hauts. » Cependant, l’espoir l’a sauvée.

Je pense que chaque chose arrive pour une raison et ma blessure aux Jeux s’est peut-être produite pour que j’aie une différente approche avec la vitesse.

Frédérique Turgeon

En effet, en Chine, elle a eu une révélation. Comme elle est technicienne de nature, son avenir se trouvait vraisemblablement dans les épreuves de vitesse, a-t-elle réalisé. Malgré une lourde chute, quelque chose venait de s’allumer en elle.

Thomas s’est avancé dans son fauteuil bleu pour intervenir. « Aux Jeux paralympiques, elle y est allée à fond à l’entraînement et même si elle s’est fait mal, elle a vu qu’il y avait de l’espoir, et là, elle gagne des médailles. »

« J’étais quand même heureuse malgré tout, parce que ça faisait deux ans que je n’avais pas eu de plaisir comme avant », renchérit Frédérique Turgeon.

Auparavant, le slalom était la discipline préférée de l’unijambiste. « J’étais plus confortable, mais le temps passe et je me dis : “OK, non, ce n’est pas là-dedans que je vais gagner mon globe.” »

Un constat important compte tenu de la dissemblance entre les épreuves techniques et de vitesse. Ce sont presque deux sports distincts. Peu de skieurs sont à l’aise dans chacune des catégories.

Il faut que je réalise que je suis peut-être meilleure en vitesse au lieu de me convaincre que je suis une technicienne.

Frédérique Turgeon

Elle est maintenant motivée par le désir de réussir, et surtout d’apprendre, là où elle voit un immense potentiel. « La passion, me nourrir et apprendre, pour moi, ça augmente mon amour pour mon sport et ça fait en sorte que je continue. La seconde où je serai blasée par rapport à ce que je fais, je pense que c’est là que je vais en avoir assez. »

Une longue réflexion

Pendant cinq mois à l’écart des pistes, l’envie de remonter en selle l’habitait. Le goût de l’adrénaline et de la vitesse lui manquait. Elle a obtenu le feu vert à la fin de l’été, et depuis, tout fonctionne pour le mieux.

« Je suis fière de persévérer et d’être résiliente comme je le suis. Je suis capable de vraiment mettre de côté ce qui est arrivé aux Jeux, ou même de me nourrir de ça. Je suis capable de me nourrir de mes émotions ou de ma tristesse et de les transformer en quelque chose de positif. »

Cette réflexion arrive toutefois au terme d’une période pendant laquelle Frédérique Turgeon a pensé se retirer. D’une part, car les dernières années l’avaient profondément ébranlée. D’autre part, parce qu’elle ne savait pas si tout ce dévouement en valait la peine. Elle avait déjà accompli énormément et suffisamment pour elle, son sport et le mouvement paralympique. D’autant plus qu’avec la méthode de classification des handicaps, les gagnantes sont toujours les mêmes. C’est-à-dire celles pouvant skier sur deux jambes.

Cet été, j’y ai beaucoup pensé [à se retirer]. C’est la première fois que j’y pensais autant. J’y ai pensé souvent. Même que j’ai commencé à dire que je ne savais pas si j’allais me rendre aux prochains Jeux, et encore à ce jour, je ne sais pas si je veux. En fait, je veux, mais ce n’est pas la priorité.

Frédérique Turgeon

Une seule chose pouvait la dissuader. « Je devais trouver quelque chose pour rester accrochée, parce que ça n’allait pas. »

C’est là qu’elle a commencé à obtenir de bons résultats en descente et en super-G, deux disciplines relativement étrangères. « Je suis fière de moi en ce moment, considérant que j’ai pensé arrêter. Je l’ai encore, à 23 ans, après deux ans à me dire que je ne l’avais plus. »

La skieuse a de nouveau confiance en ses moyens. Mais surtout en elle. Peu de gens auraient trouvé la force de continuer ou la motivation d’avancer.

C’est pourquoi Turgeon est là où elle en est aujourd’hui. C’est pourquoi Thomas la regarde avec admiration. C’est pourquoi elle continue de gagner, malgré tout.

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