La période de transition entre l’adolescence et la vie adulte est névralgique. Elle l’est d’autant plus pour les athlètes de pointe. Alice Marchessault a dû partager ce temps entre la montagne et l’hôpital. Elle est maintenant de retour sur ses skis, condamnée à l’excellence.

Il y a de ces athlètes qui refusent de s’avouer vaincus. Qui bravent la tempête, sachant qu’un redoux les attend. Alice Marchessault fait partie de ces guerriers du quotidien.

Son cœur bat au rythme de chaque virage, mais son corps s’abîme. Encore et encore.

Depuis six ans, elle a surmonté tant d’épreuves. Entre l’âge de 14 et 20 ans, la skieuse de Saint-Sauveur a subi une fracture de la clavicule, deux commotions cérébrales, une dislocation de l’épaule, une intervention chirurgicale à la mâchoire, un déchirement partiel du ligament croisé antérieur et une rupture complète du ligament et du ménisque. Elle skie présentement malgré une entorse à une main. Le temps passé en réadaptation se compte en mois, presque en années.

PHOTO FOURNIE PAR ALICE MARCHESSAULT

Alice Marchessault, aux prises avec une énième blessure

Ses plus récentes blessures ont été les plus importantes. Pour l’épaule, « c’est quand même drôle, je lançais un sapin dans un conteneur et mon épaule s’est disloquée. J’ai déchiré mon labrum », explique-t-elle. Pour la mâchoire, « je suis tombée sur le menton. Des disques se sont disloqués et j’ai commencé à avoir de la nécrose dans les condyles de ma mâchoire. Je n’ai pas mangé pendant trois mois. J’ai juste bu ».

Dix mois après s’être remise de ses blessures à une épaule, à la mâchoire et à un genou, elle a « skié 32 jours et [son] genou s’est déchiré au complet avec le ménisque ».

Dans le confort de la maison familiale, dans les Laurentides, Marchessault revient sur chacune de ses blessures avec précision et transparence. Dans un langage riche, elle fait le récit d’une carrière encore toute jeune.

PHOTO OLIVIER ST-DENIS, FOURNIE PAR ALICE MARCHESSAULT

À l’entraînement, le 29 décembre dernier

En dépit de ses ennuis de santé, l’athlète de 20 ans est parvenue à rester l’un des plus beaux espoirs du ski alpin canadien. Lors de son grand retour avec Équipe Québec juste avant Noël, au mont Saint-Sauveur, elle a gagné les deux slaloms auxquels elle a pris part.

Revenir plus forte

Jamais Marchessault n’avait été à l’écart des pistes aussi longtemps. Elle avait toutefois bon espoir de pouvoir connaître du succès à ses premières courses, grâce à sa préparation et à sa maturité.

Cette période d’attente lui a permis de réaliser que « le ski est une grosse partie de [sa] vie, mais ce n’est pas toute [sa] vie. Ce n’est pas une question de vie ou de mort ».

Sereine, cette prise de conscience l’a apaisée. « Je suis revenue et je skiais plus vite et de façon plus mature. J’avais vraiment assimilé des choses sans être sur les pistes. J’avais confiance en mes capacités même si je n’avais pas eu beaucoup d’entraînement. »

Avant ses victoires du 22 décembre, elle avait skié une vingtaine de jours. En revanche, ses coéquipières avaient pu bénéficier de deux fois plus de temps. Et pourtant. La skieuse a même été sélectionnée pour représenter le Canada aux Championnats du monde juniors à St-Anton, en Autriche, du 17 au 25 janvier, exactement un an après son opération à un genou.

La Laurentienne s’inspire d’Anna Swenn Larsson. Une skieuse constante, résiliente et performante ayant obtenu sa première victoire en carrière il y a un mois à peine, à l’âge de 31 ans. « Ça donne espoir à une fille qui a eu plusieurs écueils, comme moi. »

Trop en faire

Loin de ses skis, Marchessault voulait revenir à tout prix. Sa réadaptation a été longue. Assez pour avoir « vacillé sur la ligne entre la discipline et l’obsession ».

Elle voulait tant renouer avec sa passion. Prouver de quoi elle était capable. Sentir la neige sous ses pieds. Mais « c’était trop et je ne me laissais pas le temps de faire des progrès. Je pensais seulement au résultat final et à revenir sur la piste le plus tôt possible ». Elle s’est même rendue jusqu’à l’épuisement.

J’ai eu des douleurs. J’ai dû aller me faire opérer en septembre pour faire nettoyer des tissus cicatriciels qui avaient collé un peu partout et qui faisaient enfler mon genou.

Alice Marchessault

Les 11 mois passés à s’entraîner et à préparer son retour ont finalement porté leurs fruits sur la piste Nordique du mont Saint-Sauveur. « On n’avait pas besoin de marcher sur des œufs et revenir progressivement. Je n’avais aucune crainte. J’étais solide, je savais où je m’en allais. »

De nature joviale et positive, Marchessault est quand même passée à travers des périodes plus sombres. « Il y a des moments où je me disais que c’était fini, que j’avais donné tout ce que j’avais à donner. »

La lumière est venue de son équipe. Jamais son entourage n’a douté d’elle. « C’est là que je me suis dit que si eux ont confiance en moi, je devais revenir. Je ne peux pas lâcher comme ça sans revenir à mon sport. »

PHOTO FOURNIE PAR ALICE MARCHESSAULT

Alice Marchessault et son entraîneur, Yves Payer

Regarder en avant

Force brute, l’athlète-étudiante est revenue plus forte mentalement, sans craindre de chuter à nouveau. « Même moi, ça m’a étonnée », s’exclame-t-elle. Quelque part entre la naïveté et la quête de performance, elle a même choisi de ne pas porter l’orthèse destinée à soutenir son genou. « Je l’ai portée deux fois juste pour l’essayer et je ne me sentais pas confortable. Je ne veux pas que ça devienne une béquille à laquelle je m’habitue et qu’après, je ne sois plus capable de l’enlever », poursuit-elle.

Elle est consciente du risque, mais elle joue avec depuis le début de sa carrière. Le risque de se blesser, de tout perdre et d’y aller le tout pour le tout.

Son désir obsessionnel d’être la meilleure version d’elle-même se transpose aussi sur les bancs d’école. Incapable d’obtenir des résultats sur les pentes pendant sa convalescence, elle a voulu performer ailleurs. « Je voulais trop avoir de bonnes notes. J’ai toujours été une fille qui voulait atteindre ses objectifs à tout prix, dans tout. Je veux être capable d’aller chercher ce pour quoi j’ai travaillé durant toutes ces années », souligne l’étudiante en génie mécanique à Polytechnique.

En avril, Marchessault a été récompensée par la Fondation sports-études. Elle est devenue lauréate de la bourse sports-études de la Fondation Desjardins. Elle a aussi reçu une bourse de la Fondation de l’athlète d’excellence du Québec en 2021.

Tout ce que Marchessault sait faire, c’est atteindre ses objectifs.

Elle a maintenant les yeux rivés sur l’équipe nationale canadienne. Elle souhaite cependant entrevoir l’avenir un jour à la fois. Nul doute qu’elle dispose du talent et de la détermination nécessaires pour aller rejoindre Laurence St-Germain et Valérie Grenier, mais elle veut encore se perfectionner avec Équipe Québec.

Elle pourrait cependant obtenir des départs en Coupe du monde, comme son amie Sarah Bennett l’année dernière. « Je cogne à la porte de l’équipe nationale, mais chaque fois, je me blesse. »

On y revient toujours. Les blessures d’Alice Marchessault ont défini sa carrière, d’une certaine manière. Sauf qu’entre les lignes, il est possible d’entrevoir un brillant avenir.