Kent Hughes se souvient d’un petit attaquant costaud, presque impossible à renverser le long de la rampe. Lorsqu’un adversaire tentait de le faire, c’est souvent celui-ci qui se retrouvait sur le derrière.

Mais il n’était pas seulement fort physiquement, c’était aussi son meilleur joueur. Et Hughes en avait diablement besoin, surtout lors des matchs contre Laval et sa jeune supervedette, qu’il fallait « déranger » sur la glace.

C’était il y a environ 35 ans. Le directeur général du Canadien, à l’approche de la vingtaine, fréquentait Middlebury College, dans la NCAA, mais rentrait sitôt sa saison terminée pour diriger le Select du Lac Saint-Louis dans une ligue de hockey de printemps, avec son frère Ryan.

La jeune vedette lavalloise, alors âgée de 14 ans, qui l’a tant fait damner dirige aujourd’hui le Canadien. Il s’appelle Martin St-Louis. Et le petit costaud qui aidait Hughes à vaincre Laval n’est pas très loin non plus. Jean-François Houle est l’entraîneur-chef du Rocket de Laval…

Houle est surtout associé à son père Réjean, ancien directeur général du Canadien, dans l’imaginaire populaire.

Or, quand Hughes et St-Louis ont intégré l’organisation du Canadien, Houle retrouvait non seulement son ancien coach à l’adolescence en Hughes, mais aussi son plus grand rival sur la glace.

Leurs confrontations ont commencé au niveau bantam, mais elles se sont poursuivies dans le midget AAA, puis dans la NCAA, où ils ont été confrontés pendant quatre ans dans la même conférence, l’un pour le Vermont, l’autre pour Clarkson, où ils sont devenus les capitaines de leurs équipes respectives.

« Il y a toujours une période d’évaluation dans un changement de garde, aussi bien pour les joueurs que pour les entraîneurs, mais avec l’arrivée de Kent, je me suis senti en terrain connu, parce que je le connaissais déjà », confie à La Presse l’entraîneur du club-école du Canadien.

Houle n’a donc pas passé de nuits blanches même si le premier meeting avec son nouveau patron a mis plusieurs semaines à venir. « On s’est d’abord parlé au téléphone, mais je savais qu’il avait quand même beaucoup de choses à faire à son arrivée », dit Houle.

Hughes a instauré les grandes lignes de sa philosophie avec Houle. « Ce que je retiens des années où il m’a coaché quand j’avais 14 ou 15 ans, c’est à quel point il insistait sur l’éthique de travail. Et ça n’a pas changé. Sinon, le système de jeu est semblable à cinq contre cinq entre Montréal et Laval, même si je peux apporter des ajustements selon le personnel qu’on a sous la main. »

Tu n’as pas toujours le temps de demander des recommandations aux patrons. Mais on tente de jouer de la même façon.

Jean-François Houle

Houle et St-Louis, anciens rivaux sur la glace, se parlent désormais régulièrement. « On s’est appelés cette semaine, dit Houle. On a jasé de différents systèmes, de différents joueurs. On se parle au moins une fois par mois et on se texte à l’occasion. »

Et quand l’occasion s’y prête, dans un contexte moins stressant, on se rappelle le bon vieux temps. « On s’est vus quelques fois l’été dernier et on se reparlait de la rivalité entre Clarkson et le Vermont. J’étais peut-être un peu fatigant, j’essayais de le déconcentrer en tentant de jouer de façon robuste, parce que tu ne peux pas leur laisser du temps et de l’espace, mais disons que c’était un joueur supérieur… »

Ducharme, Lecavalier…

St-Louis a amassé 267 points en 139 matchs à l’Université du Vermont, avec son inséparable compagnon de trio Éric Perrin, entre 1993 et 1997. Malgré cela, il n’a jamais été repêché.

« J’étais convaincu qu’il allait jouer dans la Ligue nationale, raconte Houle. C’était impressionnant de les affronter. Mon père venait à mes matchs et il me posait des questions sur Martin, et aussi sur Todd White, qui était notre meilleur attaquant. Je les vantais les deux [Réjean Houle a été directeur général de 1995 à 2000]. »

Il y a parfois des choix déchirants à faire comme directeur général, et il faut aussi écouter les recommandations de ses recruteurs. Mais il y a 29 autres équipes aussi qui ne les ont pas choisis…

Jean-François Houle

Comme si le monde du hockey n’était pas déjà assez petit, le prédécesseur de St-Louis à Montréal, Dominique Ducharme, jouait également pour les Catamounts du Vermont, et Philippe Lecavalier – le partenaire d’affaires de Hughes au Québec jusqu’à l’embauche de celui-ci par le Canadien – était un coéquipier de Houle à Clarkson.

« J’ai joué avec Phil pendant quatre ans et nous avons été cochambreurs pendant un an. On a gardé des liens par la suite. Il a eu son mot à dire quand j’ai obtenu ma première chance de diriger une équipe, à Lewiston [ancienne équipe de la LHJMQ]. Il représentait plusieurs joueurs là-bas et il a eu de bons mots pour moi. Ça m’a donné un coup de main pour obtenir le poste. Il représentait aussi plusieurs joueurs de l’Armada quand j’ai eu le poste à Blainville-Boisbriand. »

Houle n’a pas eu la carrière de St-Louis, évidemment, mais il a amassé 58 points en 37 matchs à sa dernière saison à Clarkson, a été repêché au quatrième tour par le Canadien en 1993, a disputé une saison avec les Canadiens de Fredericton en 1998-1999, avant de conclure sa carrière à La Nouvelle-Orléans dans l’ECHL à 27 ans pour se consacrer au coaching.

Les Canadiens de Fredericton étaient dirigés par Michel Therrien, les gardiens s’appelaient José Théodore et Mathieu Garon, et Houle a vite remarqué un jeune défenseur de talent là-bas… l’entraîneur des défenseurs du Canadien, Stéphane Robidas.

« Je savais qu’il allait jouer dans la Ligue nationale. Il avait le patin, la tête bien haute, une bonne première passe. Et il a disputé plus de 900 matchs dans la LNH par la suite. Je n’étais pas haut dans la hiérarchie de l’organisation et pas compliqué à diriger. Je jouais sur un troisième et quatrième trio. Michel était un bon motivateur. Il connaissait ses joueurs et il savait lesquels il fallait pousser et lesquels avaient besoin d’une tape dans le dos. C’est ce que je retiens de lui. »

Houle, 48 ans, s’illumine lorsqu’il est question de l’entraîneur-chef des Oilers d’Edmonton, Jay Woodcroft. Il a été son adjoint pendant trois ans à Bakersfield, club-école des Oilers, entre 2018 et 2021, avant de passer chez le Rocket de Laval comme entraîneur-chef.

« Je l’ai salué justement l’autre jour lorsque les Oilers étaient au Centre Bell, et Dave Manson aussi. J’ai appris beaucoup de lui. J’arrivais de Lewiston et de Blainville-Boisbriand et je croyais tout connaître. Il m’a montré beaucoup de nouvelles choses. Il a été important dans mon cheminement : les systèmes de jeu, les unités spéciales, la gestion de la pression à Edmonton. C’est un étudiant de la game, un gars de système qui analyse beaucoup à l’aide de la vidéo. »

Si jamais Hughes concluait un échange avec les Oilers, il compte dans son camp un conseiller important. Kailer Yamamoto, Jesse Puljujärvi, Evan Bouchard, Tyler Benson et Ryan McLeod, entre autres, sont tous passés par Bakersfield avant de rejoindre les Oilers. « Il y en a plusieurs en effet, et certains toujours là-bas à Bakersfield », se contente de répondre notre homme.