Feindre la surprise serait de mauvais goût. Au bilan post-élimination des Maple Leafs de Toronto, lundi dernier, Sheldon Keefe avait l’air de tout sauf d’un entraîneur convaincu de son retour derrière le banc la saison prochaine. En cela, son renvoi, confirmé jeudi matin, était prévisible au possible.

Son équipe, après tout, vient de connaître une autre élimination hâtive en séries, cette fois au terme d’une longue bataille contre les Bruins de Boston. Quelqu’un devait payer, et la cible la plus facile se trouvait, comme de coutume, derrière le banc.

Cette décision, aussi prévisible soit-elle, laisse tout de même une étrange impression tant elle semble avoir été prise par dépit.

Un communiqué de congédiement est généralement succinct. Celui des Leafs, toutefois, contenait un long paragraphe où étaient énumérés les accomplissements de Keefe à Toronto. Sa fiche hallucinante de 212-97-40 en saison. Les trois récoltes consécutives de 100 points au classement sous son règne. Ses succès dans la Ligue américaine avant qu’il ne soit appelé à remplacer Mike Babcock avec le grand club en novembre 2019.

On aurait voulu faire mousser sa candidature auprès d’un futur employeur qu’on n’aurait pas choisi d’autres mots. Comme pour s’excuser de s’être résolu à cette solution, justifiée par une volonté de trouver une « nouvelle voix » pour mener la franchise au « but ultime », dixit le directeur général Brad Treliving.

Cette étrange impression se traduit par une série de questions de complexité variable. Tentons d’y répondre.

Pourquoi maintenant ?

Parce que des changements s’imposent. Plus que jamais, le plan de Brendan Shanahan, président des opérations hockey depuis 10 ans, est mis en doute. Malgré huit participations consécutives aux séries éliminatoires, l’équipe n’a gagné qu’un tour, une tendance amorcée avant l’arrivée en poste de Keefe par ailleurs. Le refrain est connu : une forte saison conclue par un parcours succinct en séries.

Néanmoins, aurait-on dû changer d’entraîneur avant ? Les occasions ont certainement été nombreuses, par exemple après l’humiliante défaite contre le Canadien en 2021. On a toutefois gardé le cap.

Deux ans plus tard, après que l’équipe eut ENFIN remporté une série, une première en deux décennies, elle n’a rien fait de bon au deuxième tour. Le directeur général Kyle Dubas a alors été congédié, et on aurait pu croire que ce serait la fin pour Keefe. Le successeur de Dubas, Brad Treliving, lui a plutôt accordé une prolongation de contrat de deux ans.

Une « nouvelle voix » derrière le banc à ce moment aurait-elle changé le destin des Leafs en 2023-2024 ? Peut-être, peut-être pas.

Keefe aurait-il pu faire mieux ?

PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Sheldon Keefe et ses joueurs lors d’un match à la fin d’avril

En saison, certainement pas. Selon le réseau Sportsnet, aucun entraîneur-chef ayant dirigé au moins 300 matchs en carrière dans la LNH, n’a présenté un meilleur pourcentage de points de classement que Sheldon Keefe (,665). En contrepartie, le même Keefe est parmi les pires de l’histoire pour le ratio de séries gagnées et perdues (1-5).

Doit-il être tenu responsable de cet état de fait ? C’est plus nuancé. Contrairement à la croyance populaire, Auston Matthews, Mitch Marner et William Nylander ont connu du succès offensif en séries sous le règne de Keefe – presque un point par match chacun. John Tavares aussi, dans une moindre mesure.

Or, en cinq ans, les Leafs se sont retrouvés quatre fois dans un match ultime. La performance totale du « Core Four » dans ces circonstances : 6 points en 15 matchs (Tavares était blessé en 2021). À quel point l’entraîneur-chef mérite-t-il sa part de blâme ?

Une longue analyse d’Athletic, publiée plus tôt cette semaine, a suggéré que les Maple Leafs, sous Babcock comme sous Keefe, ont échoué en séries parce qu’ils avaient renié leur nature résolument offensive au profit d’un système défensif mal maîtrisé. Dans cette logique, on montrera du doigt l’homme derrière le banc.

Il n’empêche que l’entraîneur, par définition, doit composer avec l’effectif à sa disposition. Quand on regarde la formation des Leafs au cours des cinq dernières années, on revient invariablement au constat d’un club étrangement bâti. Jamais les attaquants, les défenseurs et les gardiens de but n’ont été bons en même temps.

Les équipes de 2022 et de 2023 étaient probablement les meilleures, malgré les résultats que l’on connaît. Ironiquement, Keefe perd aujourd’hui son emploi après avoir vu l’effectif le plus faible de son quinquennat déployer son effort le plus impressionnant.

Y aura-t-il d’autres changements ?

PHOTO CHRIS YOUNG, LA PRESSE CANADIENNE

Mitch Marner

Probablement, mais il est difficile de s’avancer sur leur envergure.

Brendan Shanahan et Brad Treliving s’adresseront aux membres des médias ce vendredi, avec à leur côté Keith Pelley, chef de la direction de MLSE, société qui possède l’équipe. On peut d’emblée s’attendre à un vibrant repentir et à une promesse de comptes à rendre.

Personne, probablement, ne s’avancera sur le plan des prochaines semaines et des prochains mois. Car la direction a des trous à combler à toutes les positions, et une marge de manœuvre financière limitée pour y arriver, alors que les nouveaux contrats de Matthews (13,25 millions) et de Nylander (11,5 millions) s’apprêtent à entrer en vigueur.

Échanger l’un des membres du « Core Four » aurait le double effet de libérer de l’espace sous le plafond salarial et de changer la dynamique au sein d’un groupe qui semble condamné à l’échec… mais c’est plus facile à dire qu’à faire.

Les candidats les plus évidents sont Marner et Tavares, qui amorcent tous les deux la dernière année de leur contrat. Sur les réseaux sociaux, une frange particulièrement furieuse de partisans semble prête à échanger Marner contre une poignée de main et une carte-cadeau chez L’Équipeur. Prenons une respiration et rappelons que Marner est l’un des attaquants les plus productifs de la LNH, et qu’il excelle sur le plan défensif. Ses ennuis en séries sont connus, mais qui sait s’il ne connaîtrait pas davantage de succès loin de la marmite torontoise ?

Les Leafs, en outre, ne sont pas un club en reconstruction qui souhaite liquider des contrats pour acquérir des espoirs ou des choix au repêchage. Ses meilleurs éléments ont la fin vingtaine, même un peu plus dans le cas du défenseur Morgan Rielly. Ils sont au sommet de leur carrière d’athlète professionnel. La fenêtre ne sera pas ouverte éternellement.

Peut-être Treliving sera-t-il hyperactif pendant la saison morte. Peut-être aussi donnera-t-il une dernière chance à son groupe.

Qui remplacera Sheldon Keefe ?

PHOTO MICHAEL DWYER, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Craig Berube, qui a mené les Blues de St. Louis à la Coupe Stanley en 2019, semble avoir les meilleures chances de remplacer Sheldon Keefe.

La recherche est déjà en cours, a indiqué la direction, et les candidats proposés par les médias torontois se comptent par dizaines. Craig Berube, qui a mené les Blues de St. Louis à la Coupe Stanley en 2019, semble avoir les meilleures chances à ce point-ci.

Les adjoints, eux, connaîtront leur sort bientôt. Dans ce dernier rayon, on pense notamment à Guy Boucher, candidat évident pour succéder à son ancien patron.

Qu’adviendra-t-il de Keefe ?

Dans une vidéo publiée jeudi sur les réseaux sociaux, il a remercié les partisans des Leafs, rendu hommage à ceux qui l’ont embauché et même salué les membres des médias, qui ont rapidement souligné son élégance.

Il peut dormir tranquille. À seulement 43 ans, il a encore une longue et prolifique carrière devant lui.

Puisqu’il a encore en poche un contrat de deux ans, il pourrait rentrer chez lui et passer des mois pépères sans jamais avoir à se soucier de son avenir financier. Pas moins de 19 postes d’entraîneurs-chefs se sont libérés depuis la fin de la saison 2022-2023 : il y aura du travail pour lui dans quelques mois, même dans quelques années.

Ne nous surprenons toutefois pas s’il rebondit rapidement. Quatre équipes (en plus des Maple Leafs) se cherchent un entraîneur, et l’Ontarien possède le CV pour se replacer rapidement.

Si Travis Green s’est trouvé du boulot à Ottawa en dépit d’une fiche perdante en carrière, Sheldon Keefe saura certainement susciter de l’intérêt quelque part dans la ligue.