L’ex-hockeyeur québécois Gino Odjick est mort à la suite d’une crise cardiaque. Il avait 52 ans.

« On lui avait parlé une heure plus tôt, c’est tout un choc d’apprendre qu’il est parti si vite, a confié sa sœur Dina Odjick dans une entrevue au quotidien Le Droit. Nos cœurs sont brisés, il est parti pour le monde des esprits. Il est à Vancouver, mais nous allons le ramener à la maison bientôt. »

Le Droit rappelle également qu’Odjick était en rémission d’une maladie rare, l’amylose, qui avait réduit la capacité de son cœur. Rentré dans ses terres à Maniwaki en 2014, il avait été sauvé par un traitement expérimental alliant chimiothérapie et médicaments effectué à l’hôpital d’Ottawa. En octobre 2020, il avait révélé que la maladie était revenue, mais une répétition du traitement lui avait permis de reprendre le contrôle sur sa santé.

C’est par sa robustesse que le natif de Maniwaki a surtout fait sa marque dans le hockey. D’abord dans la LHJMQ, alors qu’il a accumulé 558 minutes de pénalité en deux saisons avec le Titan de Laval. Puis dans la LNH, où ses 2567 minutes passées au cachot le placent encore aujourd’hui au 17rang de l’histoire du circuit. Pendant sa carrière de 605 parties étalées sur 13 saisons, dans les années 1990 et au début des années 2000, il était l’un des bagarreurs les plus craints de la LNH.

Bien davantage reconnu pour ses poings que pour ses points, il a néanmoins démontré un certain flair offensif, inscrivant 16 buts en 1993-1994.

Après presque huit saisons disputées dans l’uniforme des Canucks, il a été échangé en 1998 aux Islanders de New York. Il s’est ensuite momentanément aligné avec les Flyers de Philadelphie, avant de terminer sa carrière avec le Canadien de Montréal. Il est rapidement devenu un des favoris des partisans québécois, mais n’a plus joué après la saison 2001-2002.

Parcours

Issu de la nation algonquine Anishinabeg, Gino Odjick est né le 7 septembre 1970 dans la réserve Kitigan Zibi, près de Maniwaki, en Outaouais. Quatrième enfant d’une fratrie de six, il s’est initié au hockey un peu avant l’adolescence.

Il n’a joué que localement avant de se joindre en 1987 aux Hawks de Hawkesbury, dans la Ligue canadienne junior – l’équivalent du junior AAA, au Québec. Son entraîneur de l’époque, Bob Hartley, a affirmé au Droit, dimanche, avoir perdu un de ses « kids », un de ses « favoris ». « C’était un vrai ; il y aurait un livre de 400 pages à écrire juste sur son année à Hawkesbury », a confié Hartley au reporter Marc Brassard.

Dans un courriel à La Presse, Yves Chartrand, journaliste qui couvrait les activités des Hawks à l’époque, abonde. « Il faisait peur et n’avait peur de rien ! », nous a-t-il écrit.

Il a ensuite fait le saut dans la LHJMQ, à Laval, non sans difficulté. « Quand il est arrivé, il avait de la misère à patiner », se rappelle Patrice Brisebois, encore « sous le choc » d’avoir perdu celui qu’il considérait comme un ami.

Si Odjick a pu gagner sa vie avec le hockey, c’est parce que l’entraîneur-chef du Titan, Paulin Bordeleau, ne l’a « jamais lâché » et qu’il a « toujours cru en lui », insiste Brisebois, coéquipier à l’époque. Nombreuses ont été les séances de minutes supplémentaires sur la patinoire, sans lesquelles il n’aurait « jamais atteint la LNH », ajoute l’ex-défenseur du Canadien et de l’Avalanche du Colorado.

Imposant le respect partout dans la ligue, Odjick a remporté la Coupe du Président avec le Titan en 1989. Après avoir passé 280 minutes au banc des pénalités en seulement 50 matchs pendant la saison, il a ajouté 129 minutes en seulement 16 rencontres de séries éliminatoires.

L’année suivante, les Canucks de Vancouver en ont fait un choix de cinquième tour, 86e au total. Ses débuts professionnels n’ont pas tardé. Après deux saisons dans la LHJMQ et seulement 17 matchs dans la défunte Ligue internationale, et alors qu’il venait d’avoir 20 ans, Odjick a été rappelé dans la LNH et ne l’a plus quittée, hormis pour une brève parenthèse en toute fin de parcours.

À sa deuxième saison, Odjick voit arriver un jeune prodige russe dans l’entourage de l’équipe. Il se lie immédiatement d’amitié avec Pavel Bure, futur membre du Temple de la renommée du hockey et l’une des plus grandes vedettes offensives du circuit dans les années 1990.

Craint aux quatre coins du circuit, Odjick prend sous son aile tous les joueurs de talent qui passent par Vancouver. À l’époque, souligne Guy Carbonneau, qui l’a affronté pendant une dizaine d’années et qui l’a dirigé en 2001-2002 à Montréal, les bagarreurs faisaient respecter « la loi non écrite » selon laquelle « tu ne touchais pas aux meilleurs joueurs ». Les bagarreurs comme Odjick, dont le rôle « ingrat » est aujourd’hui « difficile à expliquer » au jeune public, étaient hautement respectés.

Martin Gélinas l’a rapidement constaté lorsqu’il s’est joint aux Canucks en janvier 1994. « C’est une légende à Vancouver », a-t-il expliqué à La Presse tard dimanche soir. « Quand tu jouais avec Gino, tu te sentais toujours plus gros et plus fort. Il avait une telle présence… Tu savais que tu allais être correct s’il était dans les alentours. »

De par son rôle, mais également vu son implication dans la communauté, il a atteint un niveau de notoriété et de célébrité comparable à celui des autres grandes vedettes du club comme Bure ou Trevor Linden, qui ont été au cœur de l’accession des Canucks à la finale de la Coupe Stanley en 1994.

« Personne n’intimidait ces joueurs parce que Gino était là », a confirmé Stan Smyl, ex-coéquipier devenu vice-président aux opérations hockey chez les Canucks, dans un témoignage livré à chaud aux journalistes vancouvérois quelques minutes à peine après que la mort du bagarreur eut été révélée.

La fin

Après qu’il eut disputé 444 matchs de saison et 32 autres en séries avec les Canucks, Odjick est échangé aux Islanders de New York en 1998. Ses quatre dernières saisons sont tumultueuses, alors qu’il s’aligne pour trois équipes différentes.

C’est à Montréal qu’il conclut sa carrière. Adoré de ses coéquipiers et du public, il éprouve toutes sortes de problèmes de santé. Il dispute néanmoins les 12 matchs de l’équipe au cours des séries éliminatoires de 2002.

En février 2003, après avoir soigné une commotion cérébrale, il refuse de se rapporter au club-école de la Ligue américaine, ce qui lui vaut d’être suspendu par l’organisation. Ainsi se conclut sa carrière dans la LNH.

En Colombie-Britannique comme au Québec, sa renommée est bien sûr attribuable à ses années passées sur la patinoire, mais également à son implication à l’extérieur de celle-ci.

Il est demeuré, jusqu’à la fin de ses jours, une figure reconnue et respectée des Premières Nations. D’ailleurs, en 2014, lorsqu’Odjick reçoit un diagnostic d’amylose cardiaque, l’Assemblée des Premières Nations du Canada a publié un communiqué dans lequel elle lui témoignait sa sympathie et son appui. « Il a toujours pris le temps de parler à nos jeunes, de les écouter et d’aller personnellement à leur rencontre. Il a fait la plus grande partie de ce travail en toute discrétion, non à des fins publicitaires, mais parce qu’il croit en notre jeunesse », a alors écrit Ghyslain Picard, chef de l’Assemblée à l’époque.

Après le diagnostic, la médecine le croyait condamné. De Vancouver, ville où il résidait depuis sa retraite, les Canucks ont nolisé un avion pour qu’il puisse traverser le pays malgré la maladie et finir ses jours auprès de sa famille et de ses proches.

Grâce à un traitement expérimental, il a toutefois retrouvé la santé. Il a raconté son expérience au journaliste Mathias Brunet, de La Presse, dans une entrevue touchante publiée en 2017.

Le même phénomène s’est produit de nouveau en 2020. Or, son état s’est détérioré récemment, a indiqué Patrice Brisebois à La Presse. C’est Donald Audette, ex-coéquipier chez les Titans de Laval demeuré proche d’Odjick jusqu’à la fin de ses jours, qui tenait leurs anciens frères d’armes au courant de l’évolution de la situation. Et c’est aussi Audette qui a eu la tâche ingrate d’annoncer la funeste nouvelle, dimanche.

Un ami pour tous

Unanimement, les personnes qui ont connu Gino Odjick et qui ont livré des témoignages à son sujet, dimanche, ont parlé d’une personne au grand cœur.

« Le monde du hockey a perdu une bonne personne », a laissé tomber Martin Gélinas, qui l’a côtoyé pendant quatre saisons et demie à Vancouver.

« Tu ne t’attends jamais à ce que ça arrive, surtout pas à 52 ans », a renchéri celui qui pleure un joueur « dont tout le monde avait peur sur la glace », mais qui était avant tout « un homme bon », un « ciment » au sein de son équipe.

Quand il a retrouvé Odjick chez le Canadien, en 2000, Patrice Brisebois a bien vu que le dur à cuire était « au bout du rouleau », qu’il était « fatigué, magané ». Il n’empêche que c’était « le même gars » que celui qu’il avait rencontré en 1988 à Laval, celui qui « protégeait encore ses coéquipiers de la façon qu’il pouvait ».

« J’ai juste de belles choses à dire de ce gars-là, a dit Brisebois, ému. Il prenait tout le temps la vie du bon côté. C’est quelqu’un que j’ai toujours admiré. Ç’a été un grand plaisir de jouer à ses côtés. »

À Vancouver, la nouvelle a été accueillie avec une immense tristesse. « C’était un ami pour moi et pour tous les partisans en Colombie-Britannique, a résumé Stan Smyl, visiblement ébranlé. C’est avant tout l’un des êtres humains les plus gentils que j’ai rencontrés dans ma vie. » Il a également vanté son grand humour et son infinie générosité auprès des partisans du club.

« C’est un des meilleurs coéquipiers que j’ai eus », a encore dit Smyl, qui n’a pourtant disputé qu’une saison en compagnie du Québécois. Il se souvient comme si c’était hier de son premier match, alors qu’il avait jeté les gants à deux reprises, contre Dave Manson et Stu Grimson, intimidateurs parmi les plus coriaces de la LNH.

« Il a pris ce rôle avec fierté. Il voulait gagner en tant que Canuck. »

À l’inverse de Smyl, Stéphane Robidas a croisé Odjick à la toute fin de la carrière de celui-ci. L’ex-défenseur, aujourd’hui entraîneur adjoint chez le Canadien, se rappelle un coloré personnage, « un bon vivant » qui s’entraînait « assis sur le vélo stationnaire en lisant son journal en même temps ». La première image qui lui vienne en tête ? « Je le vois juste pas de dents, il lui manquait les deux palettes », a-t-il raconté, dimanche, après le match du CH à New York.

Robidas a décrit « un gars qui aimait avoir du plaisir », mais qui « était impressionnant dans les entraînements ». « On le voyait tous comme un bagarreur, mais j’avais remarqué qu’il était quand même un bon joueur. Il n’a jamais reçu le crédit pour son talent. […] Il avait de bonnes mains, un bon tir du revers. »

Par le truchement de son compte Twitter, le Tricolore a souhaité ses condoléances à la famille et aux proches de Gino Odjick. « Merci pour tous les beaux souvenirs », a-t-on ajouté.

En point de presse après la victoire de 2-1 du CH, dimanche, l’entraîneur-chef Martin St-Louis a réitéré ce message et souligné que « Gino a mérité tout ce qu’il a eu dans sa vie ». Originaire de Laval, St-Louis a suivi de près le passage du dur à cuire chez le Titan. Odjick « a toujours pris soin de son équipe », a-t-il salué.

Il l’a fait de Hawkesbury à Vancouver, et partout où il est passé, même après sa retraite. Et ce, jusqu’à la fin de sa vie.

Avec Le Droit et Guillaume Lefrançois, La Presse