La réaction de Juraj Slafkovsky valait de l’or. On amorce la question en lui rappelant que le Canadien disputera la rencontre de lundi, contre le Kraken de Seattle, avec son troisième chandail, le gilet bleu rétro que l’équipe a déjà porté pour trois matchs cette saison.

« Mais pourquoiiii ? », répond-il du tac au tac, avec le ton de l’ado à qui on demande de balayer les miettes de Doritos qui jonchent le plancher de sa chambre.

On peut comprendre la réaction de Slafkovsky. D’abord parce qu’à 18 ans, il n’est pas très loin d’être encore un ado. Ensuite, parce qu’à ses yeux, les raisons de son mécontentement sont légitimes.

« Je n’aime pas ces chandails-là. Ils sont beaux, mais on est malchanceux quand on les porte. J’aimerais mieux jouer en rouge, mais j’imagine qu’on n’a pas le choix ! », a raisonné le grand attaquant.

Slafkovsky est en phase avec les plus superstitieux partisans de l’équipe, qui ont été nombreux à nous écrire pour la chronique Le Club, nous demandant de compiler la fiche du CH dans les chandails rétro, parfois en s’indignant.

Cette saison, le Canadien montre une fiche de 0-3-0 avec son chandail rétro bleu ciel. De quoi ajouter du réalisme à l’hommage aux médiocres Expos de 1991. L’équipe a en outre subi quelques raclées, perdant ces trois matchs par un pointage agrégé de 14-5.

15 novembre : défaite de 5-1 contre les Devils du New Jersey

10 décembre : défaite de 4-2 contre les Kings de Los Angeles

15 décembre : défaite de 5-2 contre les Ducks d’Anaheim

Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent, ça m’importe peu, ça n’a rien à voir.

Jake Allen

Pourtant, le gardien aurait de quoi être encore plus échaudé que Slafkovsky, car il faisait partie de l’édition du Canadien de la saison écourtée 2021. Cette année-là, un chandail bleu royal avait été retenu – pensez aux Jets de Winnipeg des belles années de Laurie Boschman – et il ne souriait guère plus au Tricolore. En six matchs en bleu, Montréal avait remporté une seule victoire (1-4-1) et s’était fait blanchir deux fois. Score total de ces six matchs : 24-13 pour l’adversaire.

Jake Evans était déjà avec le Canadien pour les maillots rétro d’il y a deux ans. « Je ne suis pas un gars superstitieux, affirme-t-il. Je n’ai pas d’opinion au sujet des chandails. Ces défaites sont de pures coïncidences. J’espère qu’on va gagner et que ça va gâcher ton article ! »

Souvenirs du centenaire

Ces résultats ont ravivé chez certains de douloureux souvenirs des célébrations du centenaire, quand le Canadien avait porté différents chandails rétro comme clin d’œil aux premières années d’existence de l’équipe. Parmi ces chandails, celui dit « du barbier » avait été associé à la poisse.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Les joueurs du Canadien et le chandail dit « du barbier » en 2009

Tous ont évidemment en tête le match du 1er février 2009. Non seulement le Canadien s’était incliné 3-1 devant les Bruins de Boston, mais en plus, Robert Lang et Guillaume Latendresse s’étaient blessés. Pour Lang, ce fut la fin de sa brève aventure montréalaise, puisque sa blessure (un tendon sectionné) signifiait la fin de sa saison. Quant à Latendresse, sa blessure à une épaule allait lui faire rater un mois et demi d’action.

Alex Kovalev avait aussi été cloué au banc pendant une partie de la rencontre et n’avait joué que 11 minutes, de loin son plus faible temps d’utilisation de la saison.

« Robert Lang jouait du christie de bon hockey, c’était un super bon gars », se souvient Patrice Brisebois, membre de cette édition 2008-2009 du Tricolore.

« Tout le monde parle des chandails… C’est tu vraiment le chandail qui fait la différence ? Moi, c’était ma dernière année. J’avais adoré ça, c’était l’histoire du Canadien, c’était d’où on partait. C’était un honneur. »

Selon nos recherches, confirmées par l’historien spécialisé Carl Lavigne, ce chandail de la saison 1912-1913 n’a été porté que deux fois. La seconde fois était le 31 octobre 2009, et le Tricolore avait battu les Maple Leafs de Toronto 5-4. Mais le chandail était « critiqué par plusieurs en raison de la difficulté à discerner les noms des joueurs sur le dos », rappelle Lavigne. Bref, succès ou pas, ce gilet partait avec deux prises contre lui.

Après le match de lundi, le Canadien aura quatre autres duels à disputer en bleu poudre, soit les 19, 26 et 31 janvier, de même que le 11 février. Ces chandails sont le produit d’une initiative de la LNH, et les équipes sont tenues de jouer entre deux et huit matchs avec ces gilets. Le CH a opté pour le maximum permis.

« Ça serait facile d’utiliser le chandail comme excuse, ajoute Brisebois. S’ils perdent avec le chandail bleu, c’est pas la faute du chandail. Ils sont super beaux en plus. C’est juste parce qu’ils sont moins bons que l’autre équipe ! »