C’est l’une des meilleures scènes de la remarquable série Balle de bris, diffusée sur Netflix.

Ajla Tomljanović, alors 44e au monde, vient de surprendre Barbora Krejcikova au troisième tour à Wimbledon. Cette victoire lui assure une place dans la ronde des 16. La joueuse rayonne. Pendant qu’elle célèbre, son père, assis au sol, dos contre le mur, pitonne sur un ordinateur.

« J’essaie de lui trouver une chambre d’hôtel. Notre réservation prenait fin aujourd’hui. » Oups. « Ce n’est pas parce que je ne croyais pas à ses chances de gagner. Je veux juste lui faire épargner de l’argent. »

Sur ces entrefaites, Ajla Tomljanovic rejoint son père.

« Tu me niaises ? », lui lance-t-elle.

« Je vais acheter l’hôtel », lui répond-il en riant.

La joueuse sourit. « Je ne suis même pas fâchée. Je sais que c’est une blague. » Jusqu’à ce qu’elle réalise que non, ce n’est pas une blague. Son père doit bel et bien trouver une chambre pour la prochaine soirée. Elle n’en revient pas. « Honnêtement, si je faisais un peu plus d’argent, je te congédierais sur-le-champ. »

Et lui de rétorquer : « Tu ne peux pas congédier quelqu’un que tu ne payes pas. »

Un des aspects les plus méconnus de la vie d’une joueuse de tennis, c’est la gestion des finances. Les revenus varient, en fonction des victoires et des défaites. Les dépenses, elles, sont plus prévisibles. Il faut payer l’hôtel. Le transport. L’entraîneur. Le gérant, si ce n’est pas un des parents.

Lorsque vous êtes première au classement mondial, comme Iga Swiatek, ce n’est pas un problème. La Polonaise atteindra bientôt 20 millions de gains en carrière. Peut-être même dès cette semaine, à Montréal. Son avenir est assuré. Mais si vous êtes 50e, 75e ou 100e au monde, équilibrer un budget peut représenter un défi.

Valérie Tétreault peut en témoigner. La nouvelle directrice du tournoi de Montréal avait l’âge actuel de Swiatek – 22 ans – lorsqu’elle a pris sa retraite, en 2010. Bien qu’elle flirtait avec le top 100, elle devait constamment se battre pour éviter d’« être dans le rouge ».

C’est une des raisons pour lesquelles j’ai arrêté de jouer. Pour bien vivre de mon sport, pour être capable de me verser un petit salaire, je devais être dans le top 50.

Valérie Tétreault, directrice du volet montréalais de l’Omnium Banque Nationale

Ça s’est amélioré depuis, reconnaît-elle. « Si tu es autour de la 75place, je pense que tu peux couvrir tes dépenses. » Malgré tout, la précarité reste plus importante chez les femmes que chez les hommes.

Prenons l’Omnium Banque Nationale, disputé cette semaine à Montréal et à Toronto. Même nombre d’inscrits chez les hommes que chez les femmes. Même nombre de matchs pour atteindre la finale. Pour chaque dollar versé en bourse à un joueur, combien recevra une joueuse ?

90 cents ?

75 cents ?

50 cents ?

Moins que cela. Seulement 32 cents. Donc trois fois moins.

Bourses en simple féminin à Montréal

  • Gagnante : 454 500 $
  • Finaliste : 267 690 $
  • Demi-finalistes : 138 000 $
  • Quarts de finalistes : 63 350 $
  • Ronde des 16 : 31 650 $
  • Ronde des 32 : 17 930 $
  • Ronde des 64 : 12 848 $

Bourses en simple masculin à Toronto

  • Gagnant : 1 019 335 $
  • Finaliste : 556 630 $
  • Demi-finalistes : 304 375 $
  • Quarts de finalistes : 166 020 $
  • Ronde des 16 : 88 805 $
  • Ronde des 32 : 47 620 $
  • Ronde des 64 : 26 380 $

Pourtant, les assistances sont comparables. L’année dernière, Tennis Canada a vendu 237 000 billets pour le tournoi masculin à Montréal. Cette semaine, la fédération espère en vendre 200 000 pour la compétition féminine. Oui, il y a un écart – mais pas de 70 %. « En termes de revenus de commandite et de billetterie, ça se ressemble pas mal », explique Valérie Tétreault. Les cotes d’écoute pour le tennis féminin sont également très bonnes, surpassant même parfois celles du tennis masculin.

Alors, c’est quoi, le problème ?

Les revenus internationaux de télédiffusion. Tennis Canada encaisse 10 fois plus d’argent pour son tournoi masculin que pour son omnium féminin. Pourquoi ? Parce que la fédération masculine, l’ATP, a centralisé ses droits commerciaux. Ça lui confère un plus grand pouvoir de négociation. La fédération féminine, la WTA, vient enfin d’emboîter le pas. Tout le monde s’attend maintenant à une explosion des revenus du côté féminin.

Ce changement de structure permettra à la WTA de distribuer plus d’argent aux tournois, et à Tennis Canada d’éliminer l’écart salarial entre les hommes et les femmes en 2027. Concrètement, les bourses des deux tournois seront alors les mêmes, autour de 10 millions US. Ce sera presque quatre fois plus que l’enveloppe actuelle de l’omnium féminin, qui est de 2,7 millions US. « Ça fera une grosse différence », s’enthousiasme Valérie Tétreault. Tennis Canada et la Banque Nationale contribueront aussi à la cagnotte.

Autre bonne nouvelle : à partir de 2025, les tableaux principaux de l’Omnium Banque Nationale compteront chacun 96 joueurs, plutôt que 56.

L’impact sur le tennis canadien sera important. « Cette année, explique Valérie Tétreault, il a fallu utiliser nos trois laissez-passer pour qualifier nos trois meilleures joueuses canadiennes. En 2025, dans un tableau de 96 joueuses, les trois se seraient probablement qualifiées grâce à leur classement. D’autres Canadiennes auraient donc profité des laissez-passer. Ça nous permettra d’offrir plus d’opportunités pour les jeunes de la relève. »

Autant de jeunes joueuses qui s’assureront ainsi d’une bourse pour leur présence dans le tableau principal, et qui pourront rêver de vivre mieux – et plus longtemps – de leur sport.