La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Béatrice*, mi-trentaine

Proposer un échange de couple, puis développer des sentiments, réciproquement ? De part et d’autre, par-dessus le marché ? Trop fou pour être vrai ? En tout cas, c’est arrivé à Béatrice. Voici son récit.

« C’est quoi les chances ? » C’est la question qui nous viendra le plus souvent à l’esprit, pendant cette heure et demie de confidences, assez inédites merci, recueillies un peu avant les Fêtes, dans un café bondé de la couronne nord.

Il faut savoir que notre interlocutrice, souriante trentenaire, est avec son amoureux depuis 20 ans. « C’est mon premier chum sérieux ! » Leur histoire, avant d’aboutir à cette relation particulière, n’est pas exactement linéaire, plutôt franchement en dents de scie.

C’est qu’ils ont tout découvert à deux, ensemble, à l’adolescence, débute Béatrice. C’est elle qui a « entraîné » son amoureux. « Moi, ça m’a toujours intéressée, la sexualité, mais personne ne m’en parlait. Alors j’ai découvert par moi-même ! »

Béatrice a aussi une libido plus forte que son copain. « Moi, j’ai des besoins plusieurs fois par semaine. Mais lui, il peut passer une semaine sans ! » Outre ce bémol, ajoute-t-elle, « tout va bien ».

Je savais que je voulais que ce gars-là soit le père de mes enfants. On est des amoureux, des meilleurs amis, il est très proche de ma famille.

Béatrice

N’empêche que rapidement, Béatrice s’interroge : « Est-ce que je vais vraiment passer ma vie avec une seule personne ? »

Avec les années, le passage à l’âge adulte, le couple vit ses premiers défis. Béatrice est plus studieuse, son amoureux fait beaucoup la fête, mais ils réussissent malgré tout à se choisir pour « évoluer » dans la même direction.

Nouveau défi : l’arrivée des enfants, au début de la vingtaine. « Là, ça a été plus difficile, concède Béatrice. Mon chum n’est pas super démonstratif, prendre soin de moi, c’est moins son genre. Tranquillement, on s’est éloignés. »

Pas à moitié : elle s’éloigne tellement qu’elle tombe dans les bras d’un collègue. L’aventure dure quelques mois, elle finit par se confier à son copain, et ils se retrouvent à la croisée des chemins. « Notre relation ne fonctionne pas », lui dit-elle.

Ils se séparent quelques mois, monsieur va voir ailleurs à son tour, mais étrangement, cette séparation les rapproche. « On dirait que ne pas vivre ensemble nous a aidés à prendre du recul », dit en souriant Béatrice. Relationnellement, mais aussi sexuellement. Au lit (parce que oui, ils se retrouvent au lit !), ils tentent aussi mutuellement de se « reconquérir ». Et ça marche : « On a vraiment joué là-dessus. » Coup de théâtre : au bout de six mois, ils réaménagent ensemble. « Ça m’a vraiment aidée de vivre autre chose. [...] Je pense que j’avais besoin de ça. »

Ce retour n’est toutefois pas facile. Rapidement, les questionnements de Béatrice ressurgissent : « Est-ce que je vais passer ma vie comme ça ? On est des meilleurs amis, mais est-ce que je l’aime comme un amoureux ? » Une thérapie et plusieurs années de travail sur elle plus tard, au début de la trentaine, elle décide d’en finir avec ses tergiversations. « Il faut que je fasse un choix, se dit-elle, si je le choisis, je le choisis. »

Seulement voilà, entre-temps, monsieur se rapproche à son tour d’une autre femme. Vous suivez ? Revoilà notre couple face à un énième défi. « C’est moi qui ai ouvert le bal, analyse Béatrice. Alors j’ai de la misère à être fâchée. [...] OK, c’est poche, mais on va en parler », propose-t-elle. Telle est sa « personnalité », dit-elle, axée sur la communication.

Et puis Béatrice n’est surtout pas prête à perdre son amoureux. « C’est le père de mes enfants [...], un très bon partenaire de vie [...], c’est une bonne personne. Je ne peux pas le laisser partir. »

Nouveau coup de théâtre : monsieur la rechoisit aussi. « C’est assez, le niaisage », décident-ils mutuellement. Fin de l’histoire ? Plutôt le début d’un nouveau chapitre.

Ça ne s’invente pas : arrive ensuite la pandémie et le confinement les sert franchement. On l’a dit, monsieur est un sorteux, mais là, la fête est sur pause. Ils n’ont pas le choix de passer du temps à deux. « Et sur le plan sexuel, ça a vraiment été bien. On a pris le temps de se redécouvrir, on a aimé être ensemble ! »

C’est précisément à la suite de cette « redécouverte » que nos amoureux réconciliés font la rencontre d’un couple particulier, par l’entremise des enfants. Nous y voici. Les quatre se voient régulièrement, un peu par la force des choses, d’abord pour des activités familiales, puis des soupers, puis carrément des soirées.

On savait qu’eux, ils étaient ouverts…

Béatrice

Ce qu’elle en pense ? Pas grand-chose. Jusqu’à ce qu’elle apprenne par la bande qu’ils les ont dans leur ligne de mire.

Vous suivez toujours ? Béatrice, d’abord peu chaude à l’idée, se met tranquillement à y penser. « Et puis ça me trotte dans la tête... » L’idée fait du chemin, elle en discute avec son copain, et ils finissent par s’entendre sur une proposition balisée : « On échange chacun de notre bord, on ne fait pas ça les quatre ensemble, ça ne nous tente pas. [...] Et puis on veut que ce soit exclusif, dit-elle. On voulait une certaine éthique [...], on voyait ça compliqué, sinon. »

C’était il y a moins d’un an. La proposition est lancée, lors d’un souper arrosé. Pour briser la glace, les deux couples osent un premier baiser. Le premier rapprochement est concluant, on l’aura deviné. « Ça m’a même fait un peu peur. J’ai vu plus loin. Jusqu’où ça pourrait aller... » Ça semble trop fluide pour être vrai, mais après une première nuit, chacun de son bord, faut-il rappeler, c’est confirmé, la chimie est au rendez-vous.

« C’est comme si on avait toujours fait ça », s’émerveille Béatrice. Visiblement, ça clique, non seulement physiquement (les libidos croisées se font apparemment écho), mais émotivement aussi. C’est d’ailleurs son copain qui développe des sentiments en premier. Béatrice réagit ici avec philosophie : « OK, ça peut arriver, c’est un risque. » Ils en discutent, et voilà qu’elle en développe à son tour. Et vice-versa, et respectivement. Chacun de leur côté. « C’est quoi les chances ? Vraiment ! »

Cela fait plusieurs mois, et nos deux couples apprivoisent tranquillement cette dynamique toute particulière à quatre, et à tâtons, en misant toujours sur une franche communication, insiste Béatrice. Ils en ont glissé un timide mot aux enfants, se voient pour des soupers en famille, puis des nuits, discrètement, et chacun de leur côté, en toute intimité, une fois ou deux par semaine.

Béatrice est aux anges. « Ça me permet de découvrir un côté de moi que j’avais mis de côté, dit-elle en souriant. Un renouveau ! » N’empêche qu’elle se pose aussi des tas de questions. « On ne veut pas faire vivre quelque chose de bizarre aux enfants, dit-elle. On est bien ensemble, bien dans nos couples, comment on peut conjuguer les deux ? [...] Je ne sais pas à quel point ça peut fonctionner à long terme... »

L’avenir le dira. « Il y a des risques, c’est sûr, dit-elle. Mais pour l’instant, je suis bien dans ce que je vis. [...] On a juste une vie. Anyway, il y a des risques à tout ! »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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