L’argent compte, mais ne règle pas tout, rappelle Isabelle Maréchal dans La grande démission. Après s’être penchée sur les difficultés financières de la classe moyenne, elle décortique le rapport au travail, mettant au jour un ras-le-bol et des solutions trouvées par des citoyens en quête d’une vie meilleure.

« Ça fait un petit moment que je me suis éloignée du journalisme objectif », dit Isabelle Maréchal. Ce n’est pas d’hier qu’elle a envie d’exprimer ses idées et sa vision du monde, précise-t-elle : à un professeur de l’UQAM qui demandait à ses étudiants le genre de journalisme qu’ils souhaitaient faire, elle répondait déjà qu’elle visait l’éditorial ! Elle ne se contente donc pas d’observer la société quand elle fait du documentaire, elle critique franchement et propose des solutions.

« Il faut prendre position, estime l’animatrice et documentariste. Il n’y a personne qui prend position, même les politiciens ne le font pas. Qui va le faire ? » Il n’est pas question pour elle de se contenter des « débats » tenus sur les réseaux sociaux où les gens partagent leurs opinions dans des chambres d’écho, prêchant ainsi à des gens qui pensent déjà comme eux.

Le documentaire constitue un moyen pour court-circuiter ce système. « Le documentaire est un outil démocratique pour informer les gens. J’ai failli dire influencer positivement, avoue-t-elle. En tout cas, il peut montrer [aux gens] une vision du monde à laquelle ils n’auraient pas accès autrement dans un média mainstream et encore moins sur les réseaux sociaux. »

Bye bye, boss

La grande démission s’intéresse au monde du travail. Plus précisément à ce qui, dans le monde du travail, épuise et dégoûte les gens au point de les inciter à changer radicalement de vie. Isabelle Maréchal rencontre notamment une ex-infirmière et une ex-enseignante qui ont tout lâché, non pas parce qu’elles ne croyaient pas en leur métier, mais parce que la lourdeur chronique de leur travail les a menées au bout du rouleau.

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L’animatrice et documentariste Isabelle Maréchal

Les enseignantes et les infirmières sont précisément celles qui viennent de tenir tête au gouvernement en réclamant de meilleurs salaires, bien sûr, mais aussi des changements dans leurs conditions de travail qui leur permettent de se consacrer à leur tâche principale : soigner les gens et éduquer nos enfants. « Le gouvernement n’a pas compris le message de fond des travailleuses », s’inquiète Isabelle Maréchal. Elle craint qu’une vague de démissions frappe ces secteurs névralgiques après les ententes conclues le mois dernier.

Son récent documentaire cherche à tirer la sonnette d’alarme, dit-elle, au sujet de ces enjeux. Les gens acceptent de moins en moins de travailler dans des conditions qui menacent leur santé mentale et que les patrons gagnent parfois plusieurs fois leur salaire.

« Moi, je n’accepte pas ça, tranche-t-elle. Et je ne suis pas marxiste. Je suis une sociale-démocrate capitaliste. L’argent, pour moi, ce n’est pas méchant, au contraire, c’est un outil. Tant que tu ne le voles pas dans le portefeuille de l’autre et que tu paies ta juste part d’impôts. »

Ce qui ressort de La grande démission, c’est que les travailleurs sont d’abord des citoyens qui cherchent l’équilibre.

« Ce n’est pas que les jeunes ne veulent plus travailler, dit Émilie Ricard, l’infirmière démissionnaire, ils veulent vivre. » Le ras-le-bol ne concerne d’ailleurs pas seulement les milléniaux : Solène Dussault, que la documentariste rencontre aussi, a quitté l’enseignement à presque 50 ans, après 25 années passées auprès d’enfants du primaire.

Plus forts et plus riches ensemble

Des solutions pour prévenir un désengagement massif que craint Isabelle Maréchal, notamment parce qu’il accentuerait l’individualisme et causerait des défis structurels encore plus grands, il y en a. Elle rencontre notamment des travailleurs qui se sont regroupés en coopérative dans le domaine forestier, d’autres qui s’appellent les « chillionnaires » et qui ont mis leurs forces en commun pour inventer une nouvelle structure entrepreneuriale parfaitement horizontale axée sur le partage. Des initiatives rentables dans les deux cas.

IMAGE TIRÉE DE LA GRANDE DÉMISSION, FOURNIE PAR IPROD MÉDIA

Isabelle Maréchal (à gauche) a rencontré Jasmine Desbiens, Walter-Olivier Rottman et Charlotte Vaydie-Bourgault, installés en Gaspésie pour se créer un mode de vie alternatif.

Ces gens qui décrochent des modèles établis ne sont pas des pelleteux de nuages, mais des gens organisés qui croient que le travail doit aider à vivre et non pas qu’il faut vivre pour travailler. Ce qui saute aux yeux dans La grande démission comme dans Les moyens de la classe moyenne, précédent documentaire d’Isabelle Maréchal, c’est qu’ils plaident pour des changements majeurs dans notre société.

« Je suis idéaliste et j’assume », concède Isabelle Maréchal. Sa vision des choses est toutefois ancrée dans des constats. « On n’aura pas le choix de faire face à tous ces enjeux. On peut se mettre la tête dans le sable, mais on va frapper un mur, comme pour la question climatique, juge-t-elle. On ne peut plus consommer comme on le fait, on ne peut plus miser sur une croissance industrielle. […] Il faut trouver un nouveau modèle, plus près de la communauté et des projets collectifs. »

Mercredi, 20 h, à Télé-Québec, suivi d’une discussion animée par Marie-Louise Arsenault