La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

Aujourd’hui : Robert, 70 ans

Robert* a connu quantité de femmes, mais n’a sans doute pas été le meilleur amant. Du moins pas à ses débuts, croit-il, faute d’éducation. Réflexions d’un homme mûr sur ses premières armes, ses nombreux écueils et son éveil tardif.

À ce jour, il se pose encore la question : et s’il avait été éduqué, est-ce que cela aurait changé la face de sa vie (sexuelle) ?

« C’est comme si on nous disait : tu peux prendre l’auto, tu vas apprendre en conduisant. Oui, mais combien on va frapper de monde ? Combien on blesse de monde ? », déplore l’homme de 70 ans, attablé dans un café du centre-ville pour se raconter, mais surtout réfléchir au fameux culte du « saint pénis » comme il dit, lequel a guidé ses premières années dans le merveilleux monde de la sexualité.

Sa réflexion remonte à loin. Permettez une digression. À l’adolescence, dans les années 1960, Robert fait partie d’un groupe de jeunes religieux de 15 à 25 ans qui se réunissent pour différentes activités. Il n’a pas encore de fantasmes ni même de pensées sexuelles (« je suis plutôt immature »), mais se souvient à l’époque être « materné » par une jeune femme de 25 ans. « J’étais souvent avec elle, se souvient-il. C’était une espèce de grande sœur. » Non, il ne se passe rien de rien, mais il y reviendra souvent pendant notre entretien. Fin de la parenthèse.

Toujours est-il que notre homme fait ses « premières expériences sérieuses » autour de ses 20 ans, et « un peu comme tout le monde », ce n’est pas fameux, sait-il. S’il était malhabile ? « Oh, mais c’est clair, répond-il vivement. Dans les années 1970, tout le monde parle d’amour libre, mais ce n’est vraiment pas ça dans mon environnement. Moi, on ne m’a rien appris. Et je n’ai rien su ! »

Rien ? « Les seuls qui sont en mesure d’en parler, ce sont les copains qui ne savent pas plus que moi ! », se souvient-il, en citant les fameuses idées reçues entendues à l’époque et à répétition : « si elle dit non, c’est oui » et autres « si ce n’est pas toi, ce sera un autre », déplore notre interlocuteur. Pour poursuivre avec sa métaphore de l’auto, Robert résume : « Entre 20 et 30 ans, j’ai appris sur le tas et j’ai blessé, c’est clair ! »

Avec le recul, tout cela revient à ce qu’il appelle à nouveau « l’adoration du saint pénis ».

Mais ce n’est pas comme ça qu’on rend une femme heureuse ! 

Robert, 70 ans

Il va l’apprendre à l’usage.

Concrètement ? Jeune adulte, Robert attire une secrétaire au lit ici (« je ne sais pas très bien ce qu’il faut faire, elle le sait encore moins »), passe quelques années avec une autre là. « Moi, j’ai une libido impressionnante, se souvient-il, mais je ne comprends pas qu’elle puisse ne pas avoir envie ! » Encore une fois, à cause du « saint pénis ! », répète-t-il.

Une troisième ne parle que d’être mère (« et moi, je craignais ça comme le diable ») tandis qu’une énième ne parle pas du tout. « Elle était fermée comme une huître ! »

Et puis après 10 années de pratique, à « brûler » des partenaires, croit-il, faute de savoir quoi faire, et surtout comment bien faire, il en rencontre finalement une plus éloquente que les autres. Ou, disons, plus verbale. Elle lui dit un truc qui va changer sa vie. « Arrête, continue, prends ton temps », résume-t-il.

C’est là que Robert comprend. « On va être honnête, pour un homme, ça se ressemble pas mal, déclare-t-il. Mais dans une relation sexuelle entre un homme et une femme, c’est vous qui recevez ! Et c’est vous qui devez dire ce que vous voulez, c’est vous qui devez donner la direction ! » Mieux : « je peux le proposer ! », réalise-t-il en prime.

Ce qu’il n’a pas exactement fait jusqu’ici, et il le sait : « Je n’ai pas permis grand-chose de tout ça aux femmes que j’ai connues ! »

Et c’est là que sa fameuse « grande sœur » du début lui revient, osant une réflexion qu’il sait « délicate » et sans doute risquée, mais qu’il assume. « Une femme plus âgée que moi, se demande-t-il, elle aurait pu m’apprendre des choses. » Quoi, par exemple ? « Qu’une femme n’est pas une poupée gonflable, qu’elle a des sentiments, qu’aujourd’hui elle peut ne pas avoir le goût, ou vouloir que je prenne mon temps », énumère Robert.

Parce qu’entre 15 et 25 ans, un homme, c’est littéralement un pénis en érection à longueur de journée ! 

Robert, 70 ans

« Peut-être que moi, j’aurais eu besoin qu’on m’enseigne quelque chose, croit-il. Parce que j’ai l’impression d’avoir brûlé des ailes. J’aurais tout donné, mais je ne savais pas comment ! »

À la suite de cette révélation, dans les années qui suivent, ses affaires vont mieux, et il vit enfin ce qu’il dit être une sexualité « magnifique ». Il va même avoir une aventure avec la sœur d’une amie, à sa demande, et pour la dévierger. Un peu comme il aurait aimé avoir lui-même au même âge. « À 30 ans, avec la sœur d’une amie, je pense que j’ai fait ce qui est bien », raconte-t-il, en lui répétant ce qu’il a réalisé. « C’est toi qui décides, dit-il. Je vais te faire ce que tu demandes. »

Les années passent et fin trentaine, Robert rencontre finalement sa conjointe actuelle, la mère de ses enfants. Ce n’est pas le but de son témoignage, alors il ne s’épanche pas sur le sujet. Mais on comprend qu’elle est moins portée sur la chose que lui, elle lui a même carrément proposé d’aller voir ailleurs (ce qu’il a fait, une fois seulement) et surtout qu’après une longue maladie, sa libido est aujourd’hui à zéro. « C’est complètement, complètement, complètement fini. » Si cela lui manque ? « Non, conclut Robert en souriant, j’ai quand même 70 ans ! […] Mes souvenirs me nourrissent ! » Tout comme ses réflexions…

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.