En juillet 2013, dans une publication sur Facebook, Karine Champagne annonçait qu’elle venait de concrétiser trois objectifs sur sa bucket list : aller à Walt Disney, terminer un demi-ironman et mettre sur pied un club de course.

À l’époque, le concept des bucket lists – ces listes de rêves à réaliser avant de mourir – cartonnait sur les réseaux sociaux.

Mais pour Karine Champagne, ce n’était pas un effet de mode. Elle s’est toujours fixé de grands objectifs. « Lorsque j’ai lu la première fois les nouvelles, la fin de semaine à TVA, c’était sur ma bucket list depuis l’âge de 7-8 ans », raconte l’ancienne lectrice de nouvelles, aujourd’hui coach et auteure.

Quand son médecin lui a prescrit de l’exercice physique, en 2011, Karine Champagne l’a écouté. À 100 %. Elle a créé un mouvement de 35 000 femmes prêtes à utiliser le sport comme antidépresseur. Elle s’est qualifiée pour les championnats du monde de triathlon. Elle a réussi un Ironman. Elle est allée au Kilimandjaro, au Groenland, au Machu Picchu. « Vide sa bucket list vite », a-t-elle même écrit dans sa biographie sur Twitter.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE KARINE CHAMPAGNE

Karine Champagne

« Check, check, check, raconte Karine Champagne. Je vibrais dans l’accomplissement. »

Peut-être que cela lui reviendra un jour, mais aujourd’hui, à l’aube de la cinquantaine, Karine Champagne ne ressent plus le besoin de courir un marathon, ni de dormir dans une tente plantée au milieu du Groenland. « L’important pour moi, en ce moment, c’est d’être bien », dit-elle.

Sa bucket list s’est doucement transformée au gré des questions qu’elle s’est posées. « Est-ce que c’est le moment d’être plus douce avec moi ? La réponse était oui. On va faire autre chose à partir de maintenant. »

Les circonstances de la vie changent. Et nos rêves et objectifs aussi changent.

Une liste qui évolue

Professeure en philosophie à l’Université du Minnesota, Valerie Tiberius en a fait une chronique dans le Washington Post. Le titre ? « Assez avec la bucket list. Adoptez la chuck it list », soit la liste des projets à mettre aux poubelles. La philosophe raconte que son père, le jour de ses 75 ans, a annoncé à ses proches qu’il abandonnait l’idée d’apprendre l’espagnol. Il était un peu déçu, écrit-elle, mais surtout soulagé.

PHOTO LISA MILLER, FOURNIE PAR L’UNIVERSITY OF MINNESOTA

Valerie Tiberius

« Le problème, avec la bucket list, c’est qu’elle tend à être un peu statique, explique Valerie Tiberius. On met quelque chose sur la liste, et la seule façon de l’éliminer, c’est de le faire. » On s’imagine que vieillir, c’est progresser sur le même chemin, mais « les intérêts, les capacités, l’entourage changent, dit-elle. Et tous ces changements ont un impact sur les buts qui ont le plus de sens pour nous ».

Louise Dupuis, 64 ans, a déjà eu une bucket list bien garnie : apprendre l’espagnol (elle aussi !), jouer du saxophone, faire du bénévolat à l’étranger, produire des toiles géantes, être mince… À 40 ans, elle a fait un AVC. Et dans la cinquantaine, elle a accompagné ses parents dans la maladie, jusqu’à leur décès. Tout ça lui a fait revoir ses objectifs. « Ma bucket list est presque inexistante, constate Louise. Je préfère attraper les occasions au fur et à mesure qu’elles se présentent et à la saveur de mes intérêts et goûts du jour. »

Renoncer, ça fait un pincement au cœur, mais ça fait aussi de la place pour autre chose.

Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec

La bucket list est souvent constituée d’expériences nouvelles, comme sauter en parachute ou encore voir le coucher du soleil à Bali. Or, la recherche montre que les humains ont une préférence intrinsèque pour les choses et les gens qui leur sont familiers, souligne le professeur de psychiatrie Richard A. Friedman dans une chronique publiée dans The Atlantic, cette année.

Il ne s’agit pas de cracher sur la nouveauté, qui peut être excitante et procurer bien du plaisir. Mais « la recherche de nouveauté est plus précieuse lorsqu’on s’en sert pour découvrir les choses et les gens qu’on aime », écrit Richard A. Friedman. « Lorsque vous les avez trouvés, approfondissez-les. »

Comment savoir lesquels de nos rêves comptent vraiment ? Christine Grou conseille de prendre un temps d’arrêt et de réfléchir à ses désirs, ses envies, ses besoins. La bucket list peut contenir des projets qui nous sont chers et qui nous procurent du plaisir, dit Christine Grou, selon qui on ne peut vivre sans rêves et sans projets. Mais la bucket list peut aussi énumérer des défis inatteignables, dictés par un impératif, ce qui risque de cultiver la déception.

À mon avis, les objectifs les plus logiques sont ceux qui correspondent le mieux à qui vous êtes, à votre personnalité, votre environnement. Si vous avez dressé votre liste dans la vingtaine, il y a de fortes chances qu’elle contienne des choses qui ne correspondent plus à vous.

Valerie Tiberius

Karine Champagne a encore bien des rêves. Créer un mouvement autour du plaisir de vivre et de vieillir. Donner un second souffle à son livre. Continuer à faire du vélo à pneus surdimensionnés (fat bike) et de la randonnée, à profiter de son véhicule récréatif avec son mari, à aller voir la mer. « J’ai peut-être aussi découvert que je peux être aussi très heureuse et très accomplie en étant assise à ne rien faire », conclut-elle.