La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Claire*, 65 ans.

Elle avait un gros « capital sexuel ». Elle l’a tout consommé. Et à 65 ans sonnés, il est aujourd’hui « épuisé ». Récit d’une vie « libre ».

L’expression n’est pas de nous, bien sûr. Mais bien d’elle : Claire, une dynamique sexagénaire aux cheveux gris, coupés au carré, qui nous a donné rendez-vous dans un café à une heure de Montréal, là où elle vit. « Ça ne me tente plus, dit-elle tout simplement. Je n’ai plus rien à donner ! » Et on comprend qu’elle a donné pas mal, justement.

Tout a commencé vers 17 ans, après une première aventure « pas ben ben géniale » : « je l’aimais beaucoup, puis je ne l’ai plus aimé du tout ! », résume notre interlocutrice, avec une légèreté qui ne la quittera pas de l’entretien. Monsieur était plus vieux (« j’ai toujours eu des hommes plus vieux ») et, disons, pas exactement délicat. « Même si ça me faisait mal, il n’arrêtait pas. Il disait que c’était comme ça. Après ça, j’ai bien vu que ça n’est pas comme ça... »

Leur histoire dure un an, puis elle rencontre un autre homme, avec qui elle vit un temps. « Je l’aimais, c’était incroyable, se souvient-elle. Nounoune. » Nounoune ? Elle est aux petits soins, et son Roméo la quitte au bout de six mois.

Claire se retrouve alors seule, mais pas longtemps. Elle fréquente ensuite un ami. Une vraie « bête de sexe », comme elle dit. « On faisait l’amour régulièrement, très, très régulièrement. » C’est ici qu’elle nous sort sa fameuse expression :

Moi, j’ai eu un gros capital actif d’amoureux et de baise. Énorme !

Claire

À l’époque, début vingtaine, donc, Claire se retrouve à la campagne avec un bon groupe d’amis. « Je travaillais dans un bar, c’était génial, se souvient-elle. Je rencontrais plein de monde. »

Elle tombe amoureuse du plus beau gars de la place. Et lui aussi. Leur sexualité va « super bien », sauf qu’il la trompe. Mais savez-vous quoi ? Claire s’en moque. « Je n’ai jamais été jalouse, note-t-elle. Je ne sais pas pourquoi. J’aurais pu l’être. Moi, je lui disais : tu peux me tromper, mais quand tu arrives à la maison, tu es mieux d’être prêt pour moi. C’est fou, hein ? Je ne sais pas comment ça se fait. Peut-être que je ne croyais pas à l’amour ? »

Il faut dire que de son côté, elle quitte son beau type, le reprend, puis va elle-même s’amuser ailleurs. « Moi, je pognais, c’était le fun ! » Avec qui ? « Tout le temps du monde que je connaissais, précise-t-elle. Tout le temps la même gang. [...] C’était l’amour libre... »

Cette liberté s’étire quelques années, à coup de plusieurs dizaines d’aventures. Non, Claire n’a jamais compté. « J’ai même partagé un chum avec une amie. Il était en amour avec sa tête (à elle) et mon body (à moi) », dit-elle en riant.

Fin vingtaine, elle finit par rencontrer le père de son enfant. Leur histoire dure 10 ans. Au lit ? « Le bout de la marde. Il était de bonne humeur, on baisait, il était fâché, on baisait, et les préliminaires, il n’y en avait pas trop... » Elle finit par le lui dire : « Je ne suis pas ton déversoir... »

J’ai passé des années à avoir peur d’aller me coucher…

Claire

Monsieur fait des colères, lui lance des « je suis dû » et autres « t’as pas de libido ». « J’en ai une, libido, mais elle n’est pas comme la tienne ! », répond-elle.

Avec les années et le recul, Claire le sait : « Il aurait fallu qu’il soit plus fin qu’il était. Non, il n’était pas fin... »

Et puis au bout de 10 ans, donc, notre Claire rencontre un autre homme, très « fin », lui, justement. Il l’apprécie, la trouve « belle, fine, compétente ». Bref, elle finit par laisser son conjoint pour lui.

Façon de parler, parce que l’homme en question est marié. Leur idylle, qui s’étire tout de même sur quelques années, demeure donc secrète. « J’ai laissé mon mari dès que je suis tombée amoureuse, précise-t-elle, je ne voulais pas le tromper ! »

Elle retrouve ici sa joyeuse légèreté, et sa libido au passage. « J’avais du plaisir, c’était effrayant. Je me sentais unique ! »

Quand l’histoire se termine (un proche menace de les dénoncer), Claire tombe en dépression. « J’ai fait un burn-out, mais je suis convaincue que c’était une dépression. J’ai eu une grosse peine d’amour... »

Parenthèse : pendant cette aventure, notre Claire, qui est officiellement célibataire, faut-il le rappeler, ne se prive pas de s’amuser. « Ma voisine te dirait que c’était pas mal actif, sourit-elle, d’un air entendu. Lui, il n’était pas disponible les fins de semaine ni les soirs, alors moi, je rencontrais d’autres gens ! [...] J’ai vu trois autres hommes pendant ces années-là. Ah non, quatre ! Mon Dieu ! », pouffe-t-elle de rire. D’autres hommes mariés ? « Non, pas du tout, rétorque-t-elle. Du monde libre, libre, libre. Et moi, j’étais bien mêlée », ajoute-t-elle en regardant au loin, perdue dans ses souvenirs. « J’avais le goût d’investir dans une relation, mais mon histoire avec mon homme marié n’était jamais loin. » Et l’accaparait, devine-t-on.

Cela dit, elle prend plutôt bien son pied.

Moi, je suis quelqu’un qui exprime mon besoin […]. Je peux répondre aux besoins des autres, mais il faut répondre aux miens.

Claire

Sans doute une question d’âge, croit-elle (elle a 40 ans, « au top de tout ! »), et ce gros besoin de liberté. « J’ai été squeezée 10 ans, rappelle-t-elle. Alors quand je me suis séparée, c’était vraiment le bonheur... »

Et puis fin quarantaine, Claire rencontre un énième homme, une histoire platonique qui dure quelque temps, avant de flirter avec un ou deux amants. Depuis ? « C’est tout », dit-elle, d’un geste sans équivoque des mains. Reprenant son expression, elle conclut : « J’ai réalisé que mon capital amoureux est à zéro. [...] Sexuellement, j’avais un gros capital, mais j’ai tout dépensé, ça ne me tente plus. [...] Je regarde mes expériences, il y en a eu tellement, et c’était tellement éphémère. [...] J’ai passé ma vie à rencontrer des gens qui ne voulaient pas s’impliquer. C’était dans l’air du temps. L’amour libre, c’est ce que ça fait : du jetable... », laisse-t-elle tomber.

Cela dit, elle n’a aucun regret. Sauf un. « Je vais vieillir seule... »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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