Les taux d’obésité et d’obésité abdominale ont doublé au Québec depuis 30 ans. Les jeunes de 17 ans pèsent en moyenne 7 kg de plus⁠1. Pourquoi ? Et comment réagir sans nuire ? Rencontre avec deux chercheurs qui abordent la question sous des angles différents.

Qui est Benoit Arsenault ?

Épidémiologiste, Benoit Arsenault s’intéresse aux statistiques populationnelles. Selon son équipe, la variabilité du poids s’explique d’abord par la génétique, et il faut favoriser les approches inclusives, qui ne sont pas centrées sur le poids. Il est professeur à la faculté de médecine de l’Université Laval.

Qui est Paul Poirier ?

Cardiologue et spécialiste en prévention, Paul Poirier voit des patients. Pour lui, la hausse de l’obésité est le symptôme de nos modes de vie, et il faut y répondre par des politiques qui favorisent la saine alimentation et l’activité physique. Il est professeur à la faculté de pharmacie de l’Université Laval.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, LA PRESSE

Le DPaul Poirier, cardiologue et spécialiste en prévention, et Benoît Arsenault, épidémiologiste

Comment expliquer la hausse du taux d’obésité ?

P. P. : Benoit va vous dire que c’est la génétique. Moi, je vais vous dire que c’est le symptôme d’une société malade. On a la même génétique qu’il y a 30, 40 ans, mais elle s’exprime dans un environnement qui est mauvais. Le plus bel exemple, c’est la pandémie. J’ai vu des gens qui ont appris à faire du pain, qui ne sortaient plus après 20 h et qui ont pris 30 livres. Est-ce la génétique, ça ? Non, c’est l’environnement.

B. A. : Je pense que la génétique explique un grand pourcentage de la variabilité du poids dans la population, mais je suis entièrement d’accord avec le fait qu’il y a eu d’énormes changements dans notre environnement alimentaire, dans la dépense énergétique, dans les environnements plus stressants et les enjeux de santé mentale. Ça a réveillé une susceptibilité génétique à l’obésité. En fait, selon moi, on devrait plutôt se demander : pourquoi n’est-on pas tous gros aujourd’hui ? Ce n’est pas juste parce que les personnes minces font beaucoup de sport et mangent comme des moines tibétains. Ça s’explique aussi en partie par une susceptibilité génétique.

P. P. : Les facteurs génétiques qui prédisent la distribution du gras, ça existe. Mais tous les jours, en clinique, quelqu’un me dit : « J’ai des gros os, j’ai toujours été gros. » Il prend une livre par année depuis 40 ans, il est rendu obèse sévère, mais il me dit qu’il mange bien et qu’il fait de l’exercice. Puis, on lui fait une chirurgie bariatrique, et il perd du poids. Comment ça se fait ? Ce n’est pas de la génétique.

Il est très difficile de perdre du poids de façon durable en changeant ses habitudes de vie…

P. P. : C’est toujours difficile. L’être humain veut tout avoir en même temps ! Prendre un bêtabloquant post-infarctus, ça prend cinq secondes, mais être actif et faire attention à ce qu’on mange tous les jours… Prenez le mot « déjeuner ». Breakfast. Briser le jeûne. Le monde mange le soir devant la télévision et ne s’en aperçoit pas. C’est du comportement, ça.

B. A. : C’est bien beau, de dire tout cela, Paul, mais quand on regarde les études qui essaient de faire perdre du poids aux gens, ça marche quelques mois, puis après, tout le monde revient à son poids initial.

P. P. : Empêche les ascenseurs, taxe la canette de Coke pour qu’elle coûte 3,50 $, offre le lait à 50 sous le verre. Les gens qui font les bons choix, c’est parce qu’ils peuvent se le permettre. Ceux qui mangent de la scrap, c’est parce que c’est ce qu’ils peuvent se permettre. J’ai des patients qui me disent que, tout ce qu’ils peuvent se payer, c’est du Pepsi et des hot-dogs. Ils n’ont pas les moyens de se payer des aliments de qualité.

De votre côté, Benoit Arsenault, trouvez-vous inquiétante la hausse des taux d’obésité au Québec ? Si oui, quelles solutions préconisez-vous ?

B. A. : C’est extrêmement complexe. Je ne nie pas le fait que d’avoir un poids élevé augmente le risque de développer toutes sortes de maladies ni l’impact sur les soins de santé lié à la hausse du nombre de personnes ayant un poids élevé. Mais une fois qu’on dit ça, c’est quoi, la solution ? Il est évident que changer nos habitudes alimentaires, ça relève davantage de décisions politiques que de décisions individuelles sur le plan de la santé publique. C’est la même chose pour l’activité physique. On le voit dans les études : changer son alimentation et bouger plus au quotidien, ça diminue le risque d’évènements cardiovasculaires, de développer un diabète de type 2, etc. Mais ces mêmes études démontrent que ça ne fait pas perdre de poids sur la balance. Il faut donc passer d’une société qui stigmatise les personnes ayant un poids élevé à une société qui propose des approches inclusives à l’égard du poids.

48 % et 32 %

La prévalence de l’obésité abdominale (un tour de taille élevé) a doublé depuis 1990, passant de 21 % à 48 % chez les femmes et de 14 % à 32 % chez les hommes, selon une étude de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

En mangeant mieux et en bougeant plus, est-ce qu’une personne grosse peut échapper aux maladies qui, statistiquement, la guettent ?

B. A. : En épidémiologie, le risque zéro n’existe pas. Il y a d’autres facteurs génétiques. Des personnes minces qui font des infarctus, il y en a une puis une autre ! On peut diminuer son risque, oui, mais pas en suivant des régimes. Plus tu perds de poids, plus tu en reprends, et au bout de trois, quatre ans, tu pèses davantage qu’au départ. C’est plutôt en modifiant ses habitudes de vie de façon durable qu’on peut changer la trajectoire de son risque.

P. P. : Au Colorado, il y a une cohorte d’ex-obèses devenus marathoniens. Le prix à payer pour rester mince, c’est de s’entraîner beaucoup, parce que le corps est réglé pour reprendre le poids perdu. Le principe, c’est de ne pas le devenir, obèse, et de montrer aux enfants quoi faire. Parce qu’en ce moment, on apprend aux enfants à être sédentaires.

3 milliards

Coûts de consultations médicales, d’hospitalisation, de consommation de médicaments et d’invalidité associés à l’obésité en 2011, selon une étude de 2015 de l’INSPQ

En terminant, quelle est votre vision de l’avenir ?

P. P. : On est en train de médicaliser l’obésité, comme on a médicalisé l’hypertension, jusqu’à ce qu’on décide de couper le sel dans les aliments transformés. Quand est-ce que ça va arriver pour l’obésité ? Ça va prendre une molécule pour que vous puissiez penser perdre le gras viscéral ? Ça n’a pas de bon sens. On n’en a pas les moyens.

B. A. : Je vais être un peu plus positif. Je pense que le discours public est en train de changer sur les enjeux associés au poids et à la santé. Aujourd’hui, six Québécois sur dix se sentent inadéquats parce qu’ils ont un poids élevé. Il faut leur enlever ce fardeau et leur dire de changer leurs habitudes de vie, peu importe l’effet sur la balance. Quand les gens vont comprendre ça, on va faire des progrès tant en santé métabolique qu’en santé mentale.

1. Selon une étude du professeur Mario Leone menée auprès d’un échantillon de 4500 élèves de 6 à 17 ans et publiée en août dans la Revue canadienne de santé publique.