Le 1er novembre dernier, Marie-Pier Da Silva et son conjoint ont fait leurs boîtes et quitté leur logement de la rue Davidson en catastrophe, après un an et demi sur place. « C’était soit je quittais, soit ma santé y passait. » L’infestation de moisissures était telle dans le logement que le couple y étouffait littéralement.

Les problèmes commencent à l’automne 2022, au moment où le froid arrive et que les fenêtres doivent être fermées. Après un automne et un hiver passés dans le logement, le conjoint de Mme Da Silva se retrouve aux urgences, en juin dernier. « Il n’était plus capable de respirer. » Un mois plus tard, c’est Marie-Pier Da Silva qui doit consulter en urgence. « L’oxygène ne se rendait plus aux poumons », relate-t-elle

PHOTO FOURNIE PAR MARIE-PIER DA SILVA

Marie-Pier Da Silva s’est retrouvée aux urgences en juillet dernier à cause des moisissures dans son immeuble du 2130, rue Davidson.

Ils repartent chez eux munis de pompes pour l’asthme. Pourtant, ils n’ont jamais souffert de cette maladie.

Dès qu’on entrait dans l’immeuble, ça sentait. Mais les moisissures n’étaient pas visibles. Ça brûlait dans nos bronches. Même le chat avait du mal à respirer !

Marie-Pier Da Silva

Le couple, incapable de respirer dans sa chambre à coucher, déplace le lit dans le salon. Il réalise ensuite que c’est la pièce la plus touchée par les infiltrations d’eau. « On ne dormait plus la nuit. On était toujours sur les pompes. »

Le 13 septembre, Mme Da Silva consulte le docteur Stéphane Perron, spécialiste en santé publique et clinicien au CHUM. « Il y a quelque chose dans l’air de son logement qui la rend malade. Mais ce ne sont pas toutes les personnes qui réagissent de la même façon. Bref, ce qu’il y a dans l’air de l’appartement est irritant, mais certaines personnes y sont plus sensibles que d’autres », explique-t-il en entrevue. Les tests d’asthme et d’allergie se poursuivent pour Mme Da Silva, précise-t-il.

En parallèle, la locataire dit remarquer de nombreux problèmes sur l’immeuble. Il y a un ventre de bœuf sur la brique. Certaines briques sont descellées au point qu’elles tombent d’elles-mêmes du mur. Selon elle, les bouches d’aération ne sont pas conformes.

En juillet, elle fait parvenir une mise en demeure à sa propriétaire, Suzanne Tremblay. « Nous avons commencé à remarquer des problèmes de rhinites chroniques et respiratoires à l’automne 2022, au moment où nous avons commencé à fermer les fenêtres, indique-t-elle dans le document. Nous avons passé tout l’hiver avec ces symptômes. Pendant l’hiver, le taux d’humidité était si élevé dans le logement que j’ai dû jeter un matelas qui est devenu couvert de moisissures. »

Elle ne reçoit pas de réponse. « J’avais une propriétaire inexistante. Sur mon bail, son numéro de téléphone ne fonctionnait pas ! » Le couple paie 851 $ pour un trois pièces et demie.

Nous avons joint Suzanne Tremblay mardi dernier, afin de recueillir son point de vue sur cette histoire. « L’appartement est très correct. J’ai mis le dossier dans les mains de mon avocat », s’est-elle bornée à dire.

« Complètement délaissée par l’arrondissement »

Mme Da Silva finit par porter plainte à l’arrondissement à la fin de juillet. Elle mentionne au 311 que sa porte est laissée déverrouillée afin que les inspecteurs puissent entrer. Le lendemain, un avis est laissé à sa porte : un inspecteur est passé en son absence. Il n’y a ni nom ni numéro de téléphone sur le document. Mme Da Silva est à ce moment persuadée que son logement a été inspecté. Elle ne reçoit, ensuite, plus aucune nouvelle.

J’ai été complètement délaissée par l’arrondissement, jusqu’à ce que les gens du bureau du député provincial et mon médecin s’en mêlent. J’étais totalement désemparée. Je ne sais pas ce qui se passe à l’arrondissement.

Marie-Pier Da Silva

La locataire requiert l’aide du comité logement. Annie Lapalme, d’Entraide-logement Hochelaga-Maisonneuve, réclame des informations à l’arrondissement. On ne lui donne aucune nouvelle. En désespoir de cause, au début d’octobre, Mme Lapalme sollicite l’intervention de l’attachée politique du député Alexandre Leduc, Gabrielle Lauzon.

Mme Lauzon parle aux autorités de l’arrondissement et Marie-Pier Da Silva a enfin des nouvelles. Son logement n’a jamais été inspecté. Le 13 octobre, près de trois mois après sa plainte, le logement fait finalement l’objet d’une inspection.

Dans les documents du service d’inspection que Mme Da Silva a demandés en vertu de la loi d’accès à l’information, on voit que le bâtiment a été visité pour la première fois par les inspecteurs en avril 2015. Raison : infestation potentielle de moisissures et de souris. Le dossier est fermé un peu plus d’un an plus tard.

En mars 2017, nouvelle visite. « Planchers balcon et escalier extérieurs en mauvais état ». Un avis de non-conformité est donné. Le propriétaire a 30 jours pour s’y conformer. Le dossier est fermé trois mois plus tard : le propriétaire semble avoir fait des travaux.

Et puis, en juillet 2023, la plainte de Marie-Pier Da Silva est enregistrée. « Selon moi, c’est un cas urgent, note la préposée du 311 qui prend l’appel. On ne doit pas attendre 10 jours avant de faire une requête au service d’inspection. »

Le 28 juillet, l’inspectrice Radia Zatout constate elle-même les problèmes. « Présence de ventre de bœuf », « joints évidés entre les briques », un locataire sur place qui témoignent de multiples infiltrations d’eau. Et ensuite ?

« Les éléments dangereux ont été inspectés sans délai, le jour même de la création de la requête. Ce même jour, la requérante (logement 3) était absente », répond Julie Bellemare, porte-parole de l’arrondissement.

À la suite de cette première inspection, le degré de priorisation de la requête a été catégorisé comme étant non urgent, puisqu’il s’agissait de possibles moisissures et non pas d’un élément pouvant être dangereux pour la sécurité du public, par exemple, un mur qui pourrait s’effondrer.

Julie Bellemare, porte-parole de l’arrondissement

Des corrections ont été demandées au propriétaire, assure Mme Bellemare, et les inspecteurs sont venus à deux reprises vérifier qu’elles avaient bel et bien été réalisées. Les inspecteurs municipaux n’ont pas de pouvoir sur la qualité de l’air, seulement sur les moisissures visibles, précise le chef de cabinet du maire d’arrondissement, Laurent Richer-Beaulieu. « Nous allons néanmoins explorer cette question dans les prochaines semaines, car la situation au 2130 Davidson permet de constater que notre “coffre à outils réglementaire” pour les inspections est parfois incomplet à certains égards », nous a-t-il indiqué par courriel. Aucun constat d’infraction n’a été donné à la propriétaire.

Le 1er novembre dernier, Mme Da Silva et son conjoint ont décidé de fuir ce logement où ils étouffaient. Ils vivent depuis à Sherbrooke. Tous leurs symptômes ont disparu depuis leur déménagement, indique-t-elle.

Nous nous sommes rendus au 2130, rue Davidson mardi dernier. Dans l’immeuble, qui ne paie pas de mine, on trouve encore six locataires. Caroline Chartier vient tout juste d’emménager dans l’appartement 3, celui qu’occupait Marie-Pier Da Silva. La femme a quitté un autre logement infesté par la vermine dans l’arrondissement. « Le propriétaire ne faisait absolument rien. »

Elle indique n’avoir aucun problème respiratoire jusqu’à maintenant.

Lisez « Le calvaire des locataires »